Déposé à la SACD
CHRISTOPHE COLOMB
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES:
Christophe Colomb, grand et bel homme de 41 ans.
Isabelle de Castille, reine d'Espagne, même âge que Colomb.
Un marin espagnol.
Bobadilla, envoyé du roi d'Espagne pour le contrôle des colonies.
Barthélemy Colomb, frère de Christophe, ayant participé
à nombre de ses expéditions.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Depuis plusieurs années, le navigateur génois
Christophe Colomb est obsédé par l'idée de relier l'Europe
aux Indes en passant par l'Océan atlantique. Mais personne ne veut l'entendre.
Enfin la reine d'Espagne, Isabelle de Castille, dans le palais des rois d'Espagne,
à Cordoue, lui offre sa chance...
- 1 -
LA REINE ISABELLE - Revenez, Christophe Colomb, revenez…
CHRISTOPHE COLOMB - Je croyais que Votre Majesté m'avait donné
mon congé. Et j'étais sur le point d'aller offrir mes services
au roi de France.
LA REINE ISABELLE - Non, non, c'est un malentendu… Moi, la reine d'Espagne,
Isabelle de Castille, je vous prie de revenir, Christophe Colomb.
CHRISTOPHE COLOMB - Majesté, serait-il possible que je sois enfin à
votre service?
LA REINE ISABELLE – A notre service! Vous dites que vous voulez vous mettre
à notre service, mais si je vous ai bien compris, c'est nous qui devons
nous mettre au vôtre…
CHRISTOPHE COLOMB - C'est un nouveau monde que je vous offre! Il en vaut la
peine.
LA REINE ISABELLE - Vous le dites, mais vous n'en savez rien. Tout ce que vous
risquez de trouver dans cette expédition, c'est une nouvelle route vers
les Indes. A quoi bon?
CHRISTOPHE COLOMB – Oui, mais d'ici aux Indes, êtes-vous sûre
que je ne découvrirai rien?
LA REINE ISABELLE – Peut-être en effet, Christophe Colomb, découvrirez-vous
quelque chose, mais qui le sait? …Quoi qu'il en soit, maintenant que nous
avons fini de reconquérir notre Espagne sur les Maures, nous avons l'esprit
libre pour nous intéresser à votre projet. Que vous faut-il?
CHRISTOPHE COLOMB – Presque rien: trois caravelles, leurs équipages,
des cartes marines et quelques instruments de navigation…
LA REINE ISABELLE - Cela peut se trouver.
CHRISTOPHE COLOMB - Je veux aussi un contrat solide: que je sois nommé
Amiral de la Mer Océane, qu'on me donne les Éperons d'or…
LA REINE ISABELLE - Vous y aller fort: vous ennoblir, vous, un roturier!
CHRISTOPHE COLOMB - Je n'en ai pas fini! Que de plus je sois nommé Gouverneur
à titre héréditaire des territoires que je découvrirai.
Et que je reçoive aussi le huitième des richesses qu'ils rapporteront
à votre couronne.
LA REINE ISABELLE - Vos prétentions sont toujours aussi exorbitantes…
C'est pourquoi nous les acceptons. De toute façon, si vous ne découvrez
rien, cela ne nous coûtera guère. Et si vous trouvez quelque chose,
le bénéfice sera tel que… A moins que vous n'arriviez en
Chine, dont les empereurs n'auront que faire de nos promesses. Bonne route,
Christophe Colomb.
2 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Christophe Colomb part donc avec trois caravelles,
la Santa Maria, la Ninia, la Pinta. Mais la traversée de l'Atlantique
vers les terres inconnues se prolonge et l'équipage s'impatiente...
UN MATELOT - Capitaine, nous n'avons plus que pour dix jours de vivres.
CHRISTOPHE COLOMB - Eh bien, cela nous suffit largement, matelot.
UN MATELOT - Et pour l'eau, moins encore. Il faut nous en retourner… Trois
semaines que nous naviguons vers l'Ouest! Et il n'est même pas sûr
que nous puissions revenir en arrière.
CHRISTOPHE COLOMB - Vous avez peur, eh, marin d'eau douce?
UN MATELOT – Ô Christophe Colomb, grand Amiral de la mer Océane,
non Je n'ai pas peur, non!
CHRISTOPHE COLOMB - Oh que si, matelot! Tu as peur de l'inconnu, tu as peur
de découvrir de nouveaux mondes.
UN MATELOT - Je n'ai pas peur! J'ai vu des monstres marins, des géants,
des tourbillons… Mais je ne pense pas comme toi que la terre est ronde;
je pense que la terre est plate et qu'au bout de la terre, la mer tombe comme
ne cascade géante dans un gouffre immense.
CHRISTOPHE COLOMB - Tête de lard, la mer n'a que la largeur de ta peur.
Tu as peur de toi-même et de ton propre gouffre. Nous ne pouvons pas ne
pas arriver: la terre est ronde, on arrive toujours quelque part.
UN MATELOT - Tu ne pouvais pas rester tranquille, chez toi, à caresser
ta femme… Qu'est-ce que cela te fait qu'on puisse aller aux Indes par
l'Ouest? Qu'est-ce qui te fait courir, Christophe Colomb, qu'est-ce qui te fait
courir?
CHRISTOPHE COLOMB - Il y a en moi une voix qui me dit qu'il faut que j'y aille.
Que c'est mon salut, que c'est celui du monde d'y aller. Que si je n'y vais
pas, je me perds. C'est Dieu qui me le dit. Il y a de l'or aussi là-bas,
et de la gloire. Dix jours de vivres? Je vous demande trois jours.
UN MATELOT - Trois jours pour quoi faire?
CHRISTOPHE COLOMB - Pour arriver là où nous sommes attendus. De
par Dieu!
UN MATELOT - De par Dieu, d'accord. Pendant trois jours tu es encore le chef.
Mais après… (un temps: ils regardent au large) Vois, il y a déjà
deux jours et demi de passés sur les trois jours que nous t'avons donnés
et…
CHRISTOPHE COLOMB - Écoute la vigie, en haut du mât, qu'est-ce
qu'elle dit? (ils écoutent – silence)
UN MATELOT - Elle dit: "Terre, terre, terre…"
CHRISTOPHE COLOMB - (très froid) Tu vois bien qu'il n'y a pas de gouffre.
UN MATELOT – (le temps s'accélère) Et qu'est-ce que c'est
que cette terre, qu'est-ce que c'est que toutes ces terres, toutes ces terres
les unes après les autres?
CHRISTOPHE COLOMB - Je n'en sais rien encore.
UN MATELOT - Nous en sommes déjà à notre troisième
voyage et nous tournons comme des totons et nous errons d'île en île…
Où sommes-nous, Christophe Colomb?
CHRISTOPHE COLOMB - Je te l'ai dit, je n'en sais rien. Au japon peut-être,
ou en Chine, ou plus probablement aux Indes… En attendant de le savoir
nous allons installer une ville ici et nous y ferons une colonie. Nous l'appellerons
Saint-Domingue.
- 3 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Christophe Colomb a enfin découvert l'Amérique,
sans d'ailleurs savoir que c'est l'Amérique... Mais à terre, les
choses se passent mal, les compagnons de Colomb s'en sont pris aux indigènes
et le roi d'Espagne est obligé d'envoyer un inspecteur...
L'ENVOYE DU ROI - Qu'est-ce qui se passe ici, Barthélemy Colomb? Qu'est-ce
que c'est ces pendus que je vois au gibet? Qu'est-ce c'est que ces longues files
d'Indiens enchaînés…? Et où est votre frère,
l'Amiral Christophe Colomb?
BARTHELEMY COLOMB – Seigneur Bobadilla, qui êtes l'envoyé
du roi d'Espagne, nous n'y pouvions rien. Mon frère Christophe est parti
remettre de l'ordre dans la colonie. Ils se battent tous, les Espagnols contre
les Indiens, les Indiens contre les Indiens, les Espagnols contre les Espagnols.
Nous avons dû faire justice.
L'ENVOYE DU ROI - Avoue plutôt que vous avez, toi et ton frère,
laissé s'installer un immense désordre dans les territoires dont
vous aviez la charge…
BARTHELEMY COLOMB - Seigneur, nos pauvres Espagnols n'avaient pas de maisons
pour s'abriter, ni de terres à cultiver, ni d'esclaves pour faire le
travail, ni de femmes pour passer les nuits… Il fallait bien qu'ils s'en
procurent
L'ENVOYE DU ROI - Terribles massacres! Là où la paix de Jésus-Christ
aurait dû l'emporter! Monstrueuse incompétence. Vous êtes
tous les deux destitués. Et dès que ton frère rentrera,
il sera chargé de chaînes et expédié en Espagne pour
y faire face à la colère du roi. Et à sa justice.
- 4 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Et Christophe Colomb fut donc renvoyé,
chargé de chaînes, en Espagne, où il retrouve la reine Isabelle...
LA REINE ISABELLE - Qu'on lui enlève ses chaînes.
CHRISTOPHE COLOMB – Je n'ai pas voulu qu'un autre me les enlève,
pour que vous voyiez l'insulte que l'on m'a faite, à moi, votre grand
Amiral de la Mer Océane.
LA REINE ISABELLE - C'est nous, votre reine, qui vous les enlevons. Et nous
blâmons ceux qui vous les ont mises.
CHRISTOPHE COLOMB - Enlevez-les-moi des mains… Mais laissez-moi les conserver
comme un grand cordon autour de mon cou, en souvenir de ma grandeur et de mon
indignité… Ô ma reine, nous ne sommes tous les deux que d'inutiles
serviteurs de Dieu.
LA REINE ISABELLE - Est-ce la raison pour laquelle vous avez, vous, revêtu
cette robe de franciscain?
CHRISTOPHE COLOMB - Je n'ai jamais eu d'autre préoccupation que sa plus
grande gloire! (véhément) …Et je réclame en outre
ma part sur l'argent que votre Majesté a gagné dans cette affaire
et dont on veut me spolier. Quant à mon titre de Gouverneur…
LA REINE ISABELLE - Christophe Colomb, ne te fais pas plus petit que tu n'es
et ne nous fatigue pas avec tes redevances et ton titre de Gouverneur. Faut-il
que ce soit moi qui te défende contre toi-même? Il y en a tellement
des "gouverneurs"! Toi, tu es "le Découvreur", l'unique.
Tu étais fait pour découvrir et non pour gouverner.
CHRISTOPHE COLOMB - J'ai fait ce que j'ai pu…
LA REINE ISABELLE - Et ton titre de gloire éternelle, c'est d'avoir amené
au jour un nouveau continent - car tu as découvert un continent, Christophe
Colomb - et d'avoir pour ainsi dire achevé la création. Cela ne
te suffit-il pas?
CHRISTOPHE COLOMB - Majesté, si vous me dites que cela me suffit, cela
me suffit… Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
RAPPEL HISTORIQUE
Au XIVe et XVe siècles, les Espagnols ont longtemps bataillé
pour reprendre aux Sarrasins leur territoire (c'est "la Reconquista",
c'est à dire la Reconquête). Enfin ils s'emparent de Grenade, la
dernière citadelle musulmane en terre espagnole (1492). Et c'est cette
même année que s'embarque Christophe Colomb, comme si les Espagnols
cherchaient inconsciemment de nouveaux territoires à conquérir.
Christophe Colomb était né à Gênes en 1451 dans une
famille modeste d'artisans. Gênes est un grand port. Le jeune Christophe
fut attiré très tôt par les bateaux et la navigation. Sa
curiosité est immense. Il lit de tous les récits de navigation
qui lui tombent sous la main, depuis l'Odyssée jusqu'aux aventures d'Éric
le Rouge et de Marco Polo. Il se passionne également pour les hypothèses
des géographes et interroge aussi les marins retour de leurs longs voyages…
Et progressivement l'idée que la terre est ronde et que l'on peut par
conséquent joindre les Indes non seulement par l'Est, mais aussi par
l'Ouest s'empare de lui. Pour la réaliser, il tente d'abord sa chance
au Portugal, où sont réunis l'expérience et les documents
géographiques les plus rares (et même les plus secrets). Mais le
Portugal, tout attaché à l'exploration par l'Afrique, c'est à
dire par l'Est, le repousse. Il tente alors sa chance auprès de l'Espagne.
En 1492 enfin sa proposition est chichement acceptée. Et on l'autorise
à armer (en grande partie à ses frais) trois caravelles et, faute
de mieux, à recruter son équipage dans les prisons.
De 1492 à 1506 c'est à dire pendant 14 ans, Christophe Colomb
fera quatre voyages au cours desquels il tournera, sans savoir où il
est, autour de Cuba et dans les Caraïbes, découvrant au passage
des centaines d'îles, touchant même une fois au continent lui-même,
sans cesser de se demander s'il a ou non traversé "toute" la
mer et s'il atteint ou non le Japon, ou la Chine, ou les Indes. L'idée
qu'il avait découvert un nouveau continent ne se fera jour que petit
à petit dans les esprits. Et, ô suprême frustration, ce continent
recevra le nom d'un de ses obscurs rivaux, Amerigo Vespucci.
Colomb n'avait pas apporté à l'Amérique la paix et la foi,
comme il l'avait imaginé, mais tous les excès de la conquête
coloniale. Le roi d'Espagne réagit en conséquence et Colomb termina
sa vie dans une semi-disgrâce. Il reste que son nom a acquis une puissance
symbolique considérable. Quelques-uns de ses admirateurs tentèrent
de le faire canoniser par l'Église, compte tenu des intentions très
pieuses qu'il avait toujours manifestées dans ses écrits. Mais
sa cupidité et ses faiblesses vis à vis des pratiques esclavagistes
ont toujours bloqué le projet. Et même aujourd'hui, l'Amérique
est loin d'être unanime à l'égard de son "Découvreur".