Déposé à la SACD
L'ABDICATION DE CHARLES QUINT
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES:
L'empereur Charles Quint, 51 ans, vieil homme fatigué et entêté,
Le cardinal Grandvelle, son conseiller,
François de Guise, général des troupes françaises,
Un messager, Un capitaine.
L'HISTORIEN DE SERVICE - L'empereur Charles Quint est parti en guerre contre
les princes protestants allemands pour les ramener de force à la foi
catholique. Mais il n'est pas arrivé à les vaincre et il confie
son amertume et son indignation à son fidèle conseiller... Ils
se trouvent à Innsbruck, en Autriche...
- 1 -
CHARLES QUINT - Je viens d'être obligé de fuir devant les troupes
des princes protestants! J'en ai assez, je ne joue plus... J'ai été
long à le comprendre, mais ma vie est un échec. Monseigneur mon
conseiller, que me suggérez-vous?
LE CONSEILLER – Je vous suggère… qu'il ne faut pas dramatiser!
Après un coup dur, on a généralement besoin de parler à
quelqu'un. Je vous écoute…
CHARLES QUINT – Mon pauvre ami, s'il suffisait que je vous parle... A
vous! De toute façon, je n'avais pas assez de billes pour gagner! Ou
alors je les ai mal jouées et j'ai perdu. Et comme je suis plutôt
dépressif…
LE CONSEILLER - Si vous m'expliquiez un peu comment vous ressentez les choses…
CHARLES QUINT - Écoutez! Je suis Charles Quint, le grand Empereur. Mes
principaux interlocuteurs ont été François Ier en France,
Henri VIII en Angleterre et des tas de Papes à Rome, aussi médiocres
les uns que les autres! Et là au milieu, quelques intellectuels tapageurs:
Érasme, Calvin… Et puis Luther surtout, Luther, très illustre
tapageur!
LE CONSEILLER - Oui, je sais tout cela. J'ai l'impression que tous ces personnages
vous hantent…
CHARLES QUINT - Ils m'obsèdent. D'autre part, j'ai régné,
je règne encore! sur des territoires beaucoup trop vastes. L'Espagne,
l'Italie, l'Allemagne, la Hollande, la Franche-Comté, la Belgique, la
Bohème, la Hongrie… Et cela me prend deux mois d'aller d'un bout
à l'autre de mes terres. Et il aurait fallu que je sois partout! Ah,
le problème des communications! Et je ne dis rien du Mexique et du Pérou…
ni de tous ces conquistadors qui font la-bas n'importe quoi!
LE CONSEILLER - C'est important de temps en temps, de faire une sorte de confession
générale… Et ensuite, quoi d'autre?
CHARLES QUINT - Eh bien, ensuite, j'ai passé la plus grande partie de
ma vie à batailler pour défendre ou arrondir encore mes possessions,
que les princes voisins me disputaient… Vous le savez! Épuisant!
Et j'ai toujours gagné… Naturellement: je n'avais qu'à injecter
dans mes guerres européennes l'or des Indiens, que mes conquistadors
m'envoyaient fidèlement d'Amérique…
LE CONSEILLER - Ces braves Indiens! S'ils avaient su…
CHARLES QUINT - Ou l'or de la rançon de François Ier. Lui, il
savait! …Et puis tout à coup, je pars en guerre pour une ultime
campagne en Allemagne contre les princes protestants. Et, moi qui avais toujours
été vainqueur, je me fais battre. Ils m'ont refoulé jusqu'aux
Alpes, je suis vaincu et bien vaincu. Et je suis, je vous le rappelle, leur
Empereur!
LE CONSEILLER - Très humiliant en effet…
2 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Non seulement Charles Quint a été
vaincu, mais les princes allemands menacent maintenant sa personne. Il s'enfuit
vers l'Italie par les cols des Alpes...
LE MESSAGER - Alerte, alerte, votre Majesté! Les troupes de Maurice de
Saxe ont fait mouvement, ils vont s'emparer d'Innsbruck et nous serons encerclés:
il faut fuir! Notre seule chance de salut c'est de franchir les Alpes et de
nous réfugier en Italie.
CHARLES QUINT - Vous voyez ce que je vous disais… vaincu et fugitif…
(se reprenant) Mais j'ai toujours fait face à l'adversité. Eh
bien, partons… (ils partent et marchent côte à côte)
LE CONSEILLER – Mon Dieu, quel froid! Nous sommes au printemps, mais la
neige n'a pas encore fondu… Et l'Empereur a la goutte, et il est couvert
de plaies.
LE MESSAGER – Ces chemins de montagnes sont pourtant la seule route possible
pour échapper à nos poursuivants.
LE CONSEILLER – Tout de même, on ne devrait pas condamner un vieil
homme malade à les emprunter…
LE MESSAGER - Nous allons le soutenir, comme cela, regardez... (ils l'encadrent)
CHARLES QUINT - (maugréant pendant la route) Au diable les protestants!
On n'a pas idée d'être protestant et de vouloir le rester. L'objectif
suprême de mon règne était de refaire l'unité de
la chrétienté autour du Pape. Un pape, hélas, qu'ils ont
en horreur! Moi aussi d'ailleurs… Tous catholiques, c'était là
mon choix, ma volonté. Qu'il fait froid, Seigneur Dieu, qu'il fait froid…!
LE CONSEILLER –Vraiment, Majesté, il ne faudrait pas déclencher
de guerres de religion sans y réfléchir à deux fois…
C'est trop terrible!
CHARLES QUINT - Cessez de vous plaindre, Cardinal!
LE MESSAGER - Majesté, nous avons franchi le col et nous redescendons
vers l'Italie… Mais de nouvelles dépêches viennent d'arriver:
les Français ont pris Mets, Toul et Verdun…
CHARLES QUINT – (soudain remonté) Toul et Verdun, passe encore.
Mais Metz, non. Metz, je n'admets pas! Je reprendrai Metz! Je suis l'Empereur!
LE CONSEILLER - Ah, tout à coup vous vous réveillez!
CHARLES QUINT - C'est la rage, c'est la rage qui me redonne du courage.
LE MESSAGER - Et en plus, aux dernières dernières nouvelles, les
Français ont fait alliance avec les Turcs. Et le pape avec les Français!
CHARLES QUINT – Le traître! Allons, dépêchez-vous,
nous allons réunir une nouvelle armée…
- 3 - .
L'HISTORIEN DE SERVICE – Charles Quint se reprend et tente ensuite de
reconquérir Metz, que les Français viennent de lui enlever. Les
Français du haut des remparts le regardent arriver...
FRANCOIS DE GUISE - Je suis François de Guise, l'illustre général.
J'ai été chargé par le roi de France de défendre
Metz. Quelles sont les nouvelles, capitaine?
UN CAPITAINE - L'Empereur s'est refait une santé en Italie. Il a réuni
une armée de cinquante mille hommes. Il arrivera ici en automne…
Il est plein de rage.
FRANCOIS DE GUISE - Je ne crains rien. Du sommet de nos remparts, regardez!
J'ai fait mettre la ville en état de défense. Nous avons constitué
des provisions, rehaussé les tours, accumulé les munitions. Et
j'ai aussi fait détruire les maisons qui se trouvaient en dessous de
nos murs pour prévenir les attaques surprises… Mais qu'est-ce que
c'est que cette poussière dans le lointain?
UN CAPITAINE - Je crois que c'est justement l'Empereur qui vient nous assiéger.
FRANCOIS DE GUISE – Déjà? L'hiver n'est pas loin…
Va-t-il le passer sous nos remparts?
UN CAPITAINE - Oui, il s'installe. Octobre: la première neige vient de
tomber, ses troupes n'y résisteront pas…
FRANCOIS DE GUISE – Novembre: le froid est vif… Toute l'Europe a
les yeux fixés sur Metz.
UN CAPITAINE – Décembre. Je trouve que le temps est particulièrement
rude cette année…
FRANCOIS DE GUISE - Holà, qu'on nous apporte nos manteaux… (on
les apporte). Ce qu'il doit faire froid, là-bas! L'armée de l'Empereur
est comme ensevelie dans un linceul de neige. Lui qui craint tellement les engelures…
Même les rivières sont prises! Regardez, plus rien ne bouge dans
le camp des Impériaux.
UN CAPITAINE - Si, si… je discerne de légers mouvements.
FRANCOIS DE GUISE - Qu'est-ce, que font-ils, ils ne vont tout de même
pas attaquer par un temps pareil.
UN CAPITAINE – Non! Regardez, ils n'attaquent pas, ils font leurs bagages,
ils se retirent… Ils n'arrivent pas à plier leurs tentes raidies
par le gel, mais ils se retirent. Quelle inconséquence… Victoire!
Victoire...
4 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Charles Quint s'est ridiculisé. Il est
tellement découragé qu'à la fin il reconnaît le protestantisme
et, après avoir abdiqué dans sa capitale de Bruxelles, se retire
dans un monastère espagnol.
CHARLES QUINT - Vous voyez, j'aurais mieux fait de rester tranquille. Après
cet échec devant Metz, l'Europe entière se moque de moi. D'ailleurs,
je n'ai plus le sou. Je vais abdiquer.
LE CONSEILLER - Monseigneur, réfléchissez… Est-ce possible?
CHARLES QUINT - Tout m'est possible. Vous donc qui avez pour vocation d'écouter,
entendez ceci: c'est fini, je n'ai plus de courage, je m'en vais.
LE CONSEILLER - C'est une dépression passagère…
CHARLES QUINT - Non, non, je me connais… Je les punirai de s'être
révoltés. Et leur punition sera que je les abandonnerai. Ah, si
Luther, l'hérétique, n'avait pas divisé la Chrétienté…
LE CONSEILLER - Luther est mort depuis longtemps.
CHARLES QUINT - Luther a été mon seul véritable ennemi
et il est encore bien vivant! C'est lui le diviseur, le satanique… La
belle tunique sans couture du Christ, il l'a déchirée. J'ai dû
hier signer la convention d'Augsbourg, qui reconnaît que les princes allemands
ont le droit de choisir leur religion et de convertir leurs peuples… Le
triomphe des protestants! C'est une humiliation dont je ne me relèverai
pas.
LE CONSEILLER - Allons, monseigneur…
CHARLES QUINT - Je veux m'ensevelir dans le désespoir. Je renoncerai
d'abord à l'ordre de la Toison d'Or. Puis aux couronnes des Pays-Bas,
d'Allemagne, d'Italie et enfin d'Espagne… Je partagerai mes possessions
entre mes héritiers. Je ne veux pas régner sur une Europe divisée.
Et ensuite je me retirerai noblement dans un monastère pour y achever
mes jours.
LE CONSEILLER - Un monastère… Sera-ce en Espagne? Ils en ont d'excellents.
CHARLES QUINT - Oui, en Espagne. Au monastère de Yuste. Le climat y est
sain et surtout je serai loin du cœur de l'Europe où s'agitent toutes
ces passions qui m'ont désespéré. Moi qui ai tant fait
la guerre, je veux mourir en paix. Allons, partons…
RAPPEL HISTORIQUE
Charles Quint fut, après Charlemagne et Frédéric II de
Hohenstaufen, le dernier grand Empereur du Saint Empire Romain Germanique.
Charles Quint (1500-1558) était d'une part un Habsbourg, d'autre part
un descendant des ducs de Bourgogne: ce qui fait qu'il hérita au berceau
d'un grand nombre de couronnes royales ou ducales. Il fut en outre élu
Empereur par les princes allemands. Il se trouva ainsi à la tête
de territoires considérables, bien que très dispersés (voir
texte de la pièce). A ces territoires européens vinrent s'ajouter
les conquêtes américaines: Cuba et les Caraïbes (Christophe
Colomb 1492), le Mexique (Cortés 1519), et le Pérou (Pizarro et
Almagro 1532). On disait de lui que, sur ses terres, le soleil ne se couchait
jamais.
Pour gouverner cet immense Empire, Charles Quint voyagea beaucoup. Bien qu'il
ait une sorte de port d'attache à Bruxelles (l'ancienne capitale des
ducs de Bourgogne), il ne cessa pas en fait de parcourir ses territoires, au
gré de la politique et des guerres qu'il y menait. Un de ses plus illustres
et plus tenaces adversaires fut le roi français François Ier qui,
après avoir été vainqueur à Marignan, fut platement
battu et fait prisonnier à Pavie. La rançon qu'il dut payer fut
énorme et servit à entretenir les guerres qui suivirent.
Profondément attaché au Catholicisme, il s'était donné
pour objectif de rassembler la Chrétienté contre la menace des
Turcs. Cela peut sembler curieux, mais les Turcs (l'Empire Ottoman) s'étaient
effectivement avancés alors jusqu'en Europe centrale où ils s'étaient
déjà emparés de Budapest et d'une partie des Balkans. Ils
allèrent jusqu'à menacer Vienne…
Ironie du sort, ce ne furent pas les Turcs qui divisèrent la chrétienté
mais le Protestantisme, qui fit perdre au Catholicisme, entre autres, une partie
des territoires de l'Allemagne du Nord. Le Protestantisme était né
de la contestation de quelques clercs (Luther et Calvin en particulier) qui
refusaient l'autorité du Pape et prétendaient que seuls l'Écriture
et la foi pouvaient sauver les hommes (sola fide, sola scriptura). Paradoxalement
Charles Quint eut beaucoup de problèmes avec les Papes qui se succédèrent
sous son règne. Au cours des luttes qui l'opposèrent à
la Papauté, des troupes de reîtres luthériens incontrôlés
envahirent même la ville de Rome, la dévastèrent et emprisonnèrent
le Souverain Pontife.
A la fin de son règne, désespérant de réduire l'hérésie
protestante par la persuasion, Charles Quint partit en campagne contre les princes
allemands. Victorieux dans un premier temps, il fut ensuite battu et contraint
de s'enfuir d'Innsbruck. Tous ses adversaires (la France, le Pape, les Turcs,
les Suisses, aux côtés des princes allemands) s'étant ensuite
ligués contre lui, il finit par renoncer. Il signa la paix d'Augsbourg
qui reconnaissait le Protestantisme, abdiqua et se retira dans un couvent espagnol.