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Déposé à la SACD

VICTOR HUGO
AUX PRISES AVEC GAVROCHE

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES:
Cosette, la petite fille malheureuse,
Jean Valjean, le héros généreux, Gavroche, le gamin des rues de Paris;
Victor Hugo.


L'HISTORIEN DE SERVICE - A l'âge de 49 ans, Victor Hugo a dû s'exiler à cause de son opposition au coup d'état de Napoléon III. Il est très occupé à écrire contre lui des pièces vengeresses, au détriment de son roman Les Misérables, dont il laisse dormir le manuscrit inachevé dans une vieille malle. Pourtant, malgré les idées généreuses du nouvel empereur, la misère, qui est le sujet du roman, n'a pas diminué en France. Aussi, du fond de la malle où ils sont enfermés, les personnages qu'Hugo a imaginés s'agitent-ils pour qu'il les fasse revenir à la vie...

- 1 -
COSETTE - Alors, ça n'avance plus! Qu'est-ce qui se passe?... C'est toi, Jean Valjean?
JEAN VALJEAN – Oui, Cosette, c'est moi. Ce qui se passe, tu ne le sais pas? Notre bien-aimé père, Victor Hugo, a abandonné la rédaction des Misérables pour faire de la politique!
COSETTE - De la politique! Quelle idée… Ce n'est pas une raison suffisante!
JEAN VALJEAN - On ne peut pas être partout: il a été élu député, il a fait des discours à la Chambre, il s'est fait des ennemis, beaucoup d'ennemis... Il est surmené!
COSETTE - Il ne manquait plus que ça! Heureusement qu'il a une sacrée santé…
JEAN VALJEAN – (se levant et parlant aux spectateurs) Et en particulier, il s'en est pris à Louis-Napoléon Bonaparte, qui est maintenant devenu l'empereur Napoléon III. Il ne peut pas sentir ce Napoléon III qui a fait un coup d'État et qui a pris le pouvoir par la force. Il l'a appelé Napoléon le Petit! Et naturellement, cela n'a pas plu et, nous comme lui, nous avons dû partir pour l'exil. Nous sommes présentement à Guernesey, en Angleterre, où il passe tout son temps à écrire des pamphlets contre celui qu'il considère comme un abominable tyran.
COSETTE - Et nous alors, les Misérables, ses personnages, que devenons-nous?
JEAN VALJEAN – (revenant) Et nous, nous sommes enfermés dans une malle, où nous dormons entre les feuillets d'un manuscrit inachevé.
COSETTE - Il n'a pas le droit. Il faut le rappeler à l'ordre: nous voulons exister!
JEAN VALJEAN – Non, il n'a pas le droit. J'ai une idée: nous pourrions lui envoyer Gavroche. Il a une tendresse particulière pour cet extraordinaire petit garçon: il l'écoutera.
COSETTE – Bonne idée, réveille-le, il est à côté de toi.

- 2 –
VICTOR HUGO - Qui frappe?... Vous me réveillez en pleine nuit, moi, Victor Hugo... Eh bien, dépêchez-vous, entrez! Je n'ai jamais refusé de recevoir une apparition. Qui êtes-vous? Ah, c'est toi, Gavroche!
GAVROCHE - Eh, Pépé, tu m'as reconnu! J'avais peur que tu ne m'aies oublié.
VICTOR HUGO - Moi, t'oublier... Jamais, mon petit moineau parisien!
GAVROCHE - Et pourtant, ça fait bien douze ans que tu as abandonné tes Misérables... Hein, monsieur Victor Hugo!
VICTOR HUGO - Oui, c'est que... J'ai été très occupé.
GAVROCHE - Je sais. Monsieur prend des pauses avantageuses, monsieur se venge de Napoléon le Petit… Mais les pauvres gens, monsieur ne s'en souvient plus.
VICTOR HUGO - Je m'en souviens parfaitement. Simplement je... Oui, j'avoue...
GAVROCHE - Et en plus, mon cochon, tu viens de te faire beaucoup de fric avec tes bouquins et tu t'es payé une belle maison... Tu es riche!
VICTOR HUGO - Que veux-tu que j'y fasse? C'est de l'argent gagné honnêtement, par mon travail... Je travaille beaucoup!
GAVROCHE - Ah oui, parlons-en, de ton travail! Ça t'amuse d'écrire… Un travail qui amuse, ce n'est pas un travail.
VICTOR HUGO - Mais bien sûr que si!
GAVROCHE - Mais bien sûr que non, tu me fais rigoler! Le vrai travail, c'est celui que l'on fait dans les usines, dans les mines, dans les champs… Et celui-là, il vous grignote et vous détruit.
VICTOR HUGO - Pas du tout: le travail est rédempteur! Et je crois que Dieu...
GAVROCHE - Arrête avec tes balivernes: tant de malheureux qui s'épuisent au boulot et meurent avant l'âge! …Tu as vu le trou que j'ai dans le front?

- 3 -
VICTOR HUGO - Approche-toi, tourne-toi vers ma lampe... Oui, je le vois. Ah, je me souviens!
GAVROCHE - Heureux que tu te souviennes. C'était pendant la révolution de 1830. J'étais avec les ouvriers révoltés sur les barricades et...
VICTOR HUGO - Mais naturellement, cela me revient. J'en avais fait une scène très forte, oui vraiment très forte: les ouvriers n'avaient plus de cartouches et toi, tu étais en train d'en ramasser sur les cadavres des soldats tombés devant la barricade...
GAVROCHE – Oui, et de l'autre côté, ces enfants de salauds de soldats qui me tiraient dessus...
VICTOR HUGO - Lorsque soudain… oui, cette balle dans ton front... Comment aurais-je pu l'oublier? Mais… est-ce que je peux te poser une question, Gavroche: je n'ai jamais bien compris pourquoi, fuyant devant les balles qui ricochaient ça et là, tu dansais devant nous cette espèce de danse de mort...
GAVROCHE - Tu es un grand naïf, Victor. Tu m'avais décrit comme un enfant insouciant et heureux de vivre, malgré sa misère... En réalité, j'avais peur de vivre.
VICTOR HUGO - Peur de vivre? Mais la vie est toujours la plus forte. Et puis, tu étais libre et quand on est libre, la vie vaut toujours la peine d'être vécue.
GAVROCHE - Ça, c'est un truc pour les poètes! Moi, je savais ce qui m'attendait quand je grandirais: la maison de correction, la rue, la prison, le vol, le crime peut-être… Puis pour finir la prison de nouveau et le bagne ou l'échafaud...
VICTOR HUGO - Tu es courageux: tu aurais trouvé du travail!
GAVROCHE - Fier comme je suis, avoir un patron! Et avec tout ce chômage... Non, c'était bien plus simple et plus chouette de me faire tuer avec les insurgés sur les barricades. Je n'aurais jamais dû naître, je n'avais plus qu'à mourir... Ils me regardaient, ils m'applaudissaient, ils m'aimaient...
VICTOR HUGO - C'est donc cela que tu te disais quand tu ramassais tes cartouches? Tu vois, j'ai beau avoir de l'imagination, je n'aurais jamais supposé une chose pareille.
GAVROCHE - Mon pauvre Toto, il y a plus de choses dans tes personnages que n'en peut contenir ta modeste cervelle. C'est pourquoi, il faut que tu sortes ton manuscrit de ta vieille malle et que tu achèves enfin Les Misérables! Tes héros se répandront alors dans le monde et ils feront plus pour aider le peuple que tous les discours des hommes politiques. Et plus que tous les manifestes des révolutionnaires. Hein, je cause bien quand je veux!
VICTOR HUGO - Gavroche, tu es né de moi, mais tu me réprimandes et tu me remets dans la bonne voie, comme si tu étais mon père. Heureux l'auteur dont les personnages sont si forts et si sages qu'ils donnent des leçons à celui qui les a imaginés. Je suis fier de toi. Est réel ce qui agit et, en vérité, tu es plus réel que moi. Je vais me remettre au travail. Ce sera une grande oeuvre, Gavroche. Après, je pourrai mourir.
GAVROCHE – Rien ne presse, pépère. Toi, tu aimes la vie!

´- 4 –
COSETTE - Ça y est, bravo, Gavroche: il s'y est remis! Et il a bien travaillé, et il a enfin achevé Les Misérables. Nous sommes vivants, nous allons paraître en librairie.
JEAN VALJEAN - Mais c'est déjà fait! Et c'est un succès colossal!
COSETTE - Nous avons bien fait d'aller le tirer par la manche, n'est-ce pas?
JEAN VALJEAN - Tiens, voici la première édition française, tirée en Belgique... Et pour cause, en France, la police veille! Et déjà les traductions anglaises, allemandes, espagnoles...
COSETTE - Comment ça se dit «Cosette» en espagnol?
JEAN VALJEAN - Je ne sais pas... Regarde: «Cosetta». Et voici tous les livres, qui arrivent de toutes les parties du monde!
COSETTE - Mais c'est énorme! Il y en a combien?
JEAN VALJEAN - Compte si tu veux...
COSETTE – Cent vingt, cent trente, cent quarante… J'y renonce... Il faut croire que l'histoire a vraiment plu!
JEAN VALJEAN - C'est peu dire! (aux spectateurs) Ce livre est un des sommets de la littérature, un vaste miroir reflétant les aventures du genre humain pris sur le fait de vivre et de mourir. Il sera traduit dans toutes les langues. Il deviendra, à côté de la Bible et du Coran, une des oeuvres les plus lues dans le monde. Et nous allons, Gavroche, toi et moi, et les autres, être reconnus pour ainsi dire comme des héros de l'Histoire universelle.

REPERES HISTORIQUES

Victor-Marie, comte Hugo est né en 1802 (comme il le dira plus tard en parlant de sa naissance : ce siècle avait deux ans) et il est mort en 1885, âgé donc de 83 ans, un âge, à l'époque, remarquable. Son père était un général de l'armée de Napoléon, ce qui explique son titre de comte (qui est la plupart du temps passé sous silence: Victor Hugo n'a pas besoin de distinctions nobiliaires!). Ce qui explique aussi l'attention qu'il portera aux exploits de la Grande Armée.
Il se mit très jeune à écrire de la poésie et devint rapidement en quelque sorte le poète officiel de la Restauration (c'est à dire du retour de la Royauté: Louis XVIII, Charles X). Après une période de forte contestation politique, il finit par s'assagir et se rapprocher du pouvoir. En 1841, sous Louis-Philippe, (il avait à donc 39 ans), il fut élu à l'Académie française, suprême honneur! Ses œuvres lui ont rapporté beaucoup d'argent et il est considéré comme une gloire nationale.
Mais les évènements de I848, la révolte populaire contre la misère et le retour de la République lui donnent beaucoup à réfléchir. Il est d'un tempérament généreux et se lance dans la politique. Il devient même un député fortement engagé dans les réformes. Cependant en 1851 le prince Louis-Napoléon Bonaparte, le neveu du grand Napoléon, renverse la République et se proclame empereur sous le nom de Napoléon III. Victor Hugo est indigné et multiplie les écrits contre celui qu'il considère comme un usurpateur. Il est alors proscrit par le nouveau régime et s'exile en Angleterre, à Jersey puis à Guernesey, d'où il continue son œuvre de polémiste. Il resta en exil pendant dix-huit ans et ne rentra en France qu'après la fin du règne de son adversaire, en 1871.
Victor Hugo a écrit une œuvre colossale: poésie, romans, théâtre… En particulier Notre-Dame de Paris, Les Misérables, La Légende des siècles, Hernani, les Contemplations… En voici quelques vers célèbres...

Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j'adore
Mit au centre de tout comme un écho sonore…

Quel Dieu, quel moissonneur de l'éternel été,
Avait en s'en allant négligemment jeté
Cette faucille d'or dans le champ des étoiles?

Oui, l'aigle un soir planait aux voûtes éternelles
Lorsqu'un grand coup de vent lui cassa les deux ailes.

Waterloo, Waterloo, Waterloo, morne plaine,
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine…

Sire, vous pouvez prendre à votre fantaisie
L'Europe à Charlemagne, à Mahomet l'Asie;
Mais tu ne prendras pas demain à l'Éternel.

O combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines…