Déposé à la SACD
MOLIÈRE DEVIENT COMEDIEN
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
Maître Poquelin, tapissier du roi, père de Molière; Nicole,
servante de Maître Poquelin;
Molière (qui, il est vrai, ne prendra ce nom que plus tard), jeune comédien;
Madeleine (Béjart), 24 ans, comédienne.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Sous le règne de Louis XIV, le fils d'un riche
tapissier veut devenir comédien. Mais c'est alors une profession tout
à fait scandaleuse, qui est très mal vue par la bien-pensante
société de l'époque. C'est de plus une profession dans
laquelle il est, comme aujourd'hui, très difficile de gagner sa vie…
Le père s'oppose tout d'abord à la vocation de son fils; mais
comme c'est un homme bon, il finit par accepter de financer la fondation d'un
nouveau théâtre...
- 1 -
NICOLE - Eh bien, monsieur, est-ce que vous avez réfléchi à
la fin, et est-ce que vous avez pris votre décision? Cela devient pressant
et vous ne pouvez pas faire attendre davantage votre Molière de fils...
MAÎTRE POQUELIN - Oui, Nicole, ma décision est prise et j'ai suivi
tes conseils.
NICOLE - Monsieur, que je vous embrasse!
MAÎTRE POQUELIN - Nicole, tu m'étouffes... Est-ce bien à
une servante d'embrasser ainsi son maître! …J'ai donc suivi tes
conseils et j'ai décidé de donner de mon argent à mon Molière
de fils, comme tu dis. Cela lui permettra de se marier et de fonder sa troupe
de théâtre. Car il faut bien que jeunesse se passe. Mais, mais,
mais...
NICOLE - Mais quoi? Monsieur, vous m'effrayez!
MAÎTRE POQUELIN - Mais je ne veux pas le lui donner comme ça et
je veux auparavant lui jouer, pour l'exemple, une petite comédie de ma
façon.
NICOLE - Quelle comédie?
MAÎTRE POQUELIN - Eh, eh: le faire attendre un petit peu... Pour ménager
mes effets... Pour que la surprise ne l'étende pas raide par terre!
NICOLE - Vous voulez le faire attendre longtemps?
MAÎTRE POQUELIN - Mais non: le temps d'une conversation... Pourvu que
tu t'y prêtes toi aussi et que tu m'aides à le faire marcher...
Ah, ah... Jouer le joueur!
NICOLE - Mon Dieu, si c'est cela, je suis d'humeur plaisante et j'y consens
volontiers. (ils sortent)
- 2 -
MOLIERE – (entrant avec Madeleine) Mais non, Madeleine. Mon père
est au fond un homme fort bon, et bien qu'il soit plein d'idées toutes
faites et qu'il prenne de temps en temps sa grosse voix, je suis persuadé
que...
MADELEINE - Il ne faudrait pas que tu te fasses trop d'illusions, mon pauvre
Molière… Devenir comédiens, nous marier, fonder notre troupe...
J'ai peur que ce n'en soit trop pour lui.
MOLIERE - Oui, mais nous avons conquis Nicole à notre cause. Si quelqu'un
dans cette maison peut lui faire entendre raison, c'est bien elle!
MADELEINE - Quand il s'agit d'argent, on ne le manœuvre pas si facilement
que cela.
MOLIERE - Je le connais bien... Mais le voici qui vient.
- 3 -
MAÎTRE POQUELIN – (entrant avec Nicole) Mon fils, j'ai réfléchi
à la demande que tu m'as faite et je veux une bonne fois te dire les
choses en face...
MADELEINE - Cela ne sent pas bon.
MAÎTRE POQUELIN - ... et te représenter qu'il n'est décidément
pas convenable que le fils du tapissier de roi se fasse comédien, non
plus qu'il soit tombé amoureux d'une misérable comédienne...
MADELEINE - Je te le disais bien! C'est moi, maître Poquelin, la misérable
comédienne?
MAÎTRE POQUELIN - Oui, friponne, c'est toi. Et j'ajoute, mon fils, que
pire encore que tout, tu es aussi allé tomber amoureux de la comédie,
ce qui est en tout cas un métier qui n'est ni honorable ni lucratif...
Et je veux, moi, que tu deviennes comme moi, tapissier du roi, ce qui est honorable
et lucratif.
MOLIERE - Mais, monsieur mon père, je ne m'attendais pas à...
Vous m'aviez fait comprendre... Les oreilles me sonnent-elles?... Nicole, que
penses-tu de cela?
MAÎTRE POQUELIN - Voilà qu'on demande à la servante son
avis sur le maître!
NICOLE - Ma foi, toute servante que je sois, je trouve que le maître a
fort bien parlé.
MADELEINE - Traîtresse: tu nous as toujours fait croire que tu nous soutenais!
NICOLE - Moi, vous soutenir! Et quand bien même cela serait, de quelle
importance cela pourrait-il être? Monsieur le tapissier du roi n'est-il
pas en tout cas plus avisé que sa servante ?
MAÎTRE POQUELIN - Parfaitement. Nicole, tu parles d'or et je devrais écouter
plus souvent tes conseils.
NICOLE - Puisque vous êtes si bien disposé à mon égard,
je dois vous dire que j'ai tenté souvent de raisonner ces deux jeunes
gens, de leur montrer quelle folie représentait leur entreprise et qu'avec
un père comme vous, ils devraient se réjouir de vous écouter
et de faire ce que vous leur dites...
MAÎTM POQUELIN - C'est très bien dit: j'augmenterai tes gages.
NICOLE – Monsieur, cochon qui s'en dédit et je vous prends au mot!
MAÎTRE POQUELIN - Mais non, c'était pour rire... Nous verrons cela!
NICOLE - C'est tout vu, monsieur.
MOLIÈRE - Mais enfin, Nicole, nous connaissons tes pensées et
nous savons ce que tu nous as toujours conseillé.
NICOLE - Ah oui! Vous ne savez rien du tout.
MADELEINE - Mais hier encore tu nous affirmais...
NICOLE - Je ne vous disais rien d'autre que de comprendre que votre affaire
est déplorable, qu'elle vous conduira tout droit à la prison pour
dette et que vous, Madeleine, si vous teniez à épouser ce jeune
homme, monsieur son père n'y consentirait qu'à condition que vous
promettiez de l'aider à devenir un très bon tapissier du roi.
MAÎTRE POQUELIN - Cela est dit : je te les augmenterai.
- 4 -
MOLIÈRE - Puisqu'il en est ainsi, mon père, il ne nous reste plus
qu'à nous retirer. Nous aurions attendu de vous un peu plus d'indulgence
dans cette occasion. Pourquoi les pères imposeraient-ils aux fils une
vie qu'ils n'ont pas désirée? Et ne devraient-il pas au contraire,
en bons pères qu'ils sont, les aider à affronter celle qu'ils
ont choisi... Allons viens, Madeleine, nous irons voir les usuriers, ils auront
peut-être meilleur cœur et nous prêteront de l'argent...
NICOLE - Monsieur, ne vous font-ils pas pitié?
MADELEINE - C'est bien à toi de parler ainsi...
MOLIERE - Toi qui, depuis le début, nous as trompés...
MAÎTRE POQUELIN - Allons, mes enfants, calmez-vous. Vous allez dans vos
pièces tellement vous divertir des pères à l'avantage des
fils que vous ne pouvez pas trouver mauvais qu'en tant que père je me
sois un peu diverti aujourd'hui, en tant que père, aux dépens
de mon fils... Avec le concours de notre excellente Nicole...
MOLIERE - Mais quoi, qu'est-ce que vous voulez dire?
MA1TRE POQUELIN - Tout simplement que, de ce jour, j'ai décidé
de ne plus m'opposer ni à tes inclinations ni à tes amours et
que par ce document, établi par devant notaire, je te fais remettre,
tant en avance sur ta part de mes biens que sur la succession de ta défunte
mère, six cent trente livres: ni plus ni moins...
MOUÈRE - Mais... mais…
MADELEINE - Vous voulez dire...
MAÎTRE POQUELIN - Je veux dire ce que je veux dire: tiens, prends. Cette
somme, considérable, est à ta disposition chez maître Suspect.
MOLÈRE - Ah, mon père, soyez remercié. Je vous baise les
mains...
MADELEINE - Et moi, je vous embrasse sur les deux joues.
MAITRE POQUELIN- Qu'ont-elles donc toutes aujourd'hui à m'embrasser?
Quant à Nicole, qui vous a si bien joué cette petite comédie,
sachez-le, c'est bien grâce à elle que nous en sommes arrivés
à cette heureuse conclusion: elle a tellement bien plaidé pour
vous!
MOLIERE – Je le savais bien. Embrassons-la aussi de la même façon...
En tout cas, soyez sûr, mon père, que je me souviendrai de la leçon
de théâtre que vous venez de nous donner.
RAPPEL HISTORIQUE
Molière a écrit ses pièces sous le règne de Louis
XIV. Il est le contemporain de Corneille, de Racine, de La Bruyère, de
Bossuet, de La Fontaine, de Lully, de Mansart … qui ont tous illustré
à leur manière ce que l'on a appelé "le Grand siècle".
Mais de tous, Molière est le plus connu, car ses pièces sont encore
jouées sur tous les théâtres du monde et contribuent universellement
au renom de la littérature française.
Il est né en 1622 et mort en 1673. Son père était un artisan,
d'une certaine importance puisqu'il était Tapissier du Roi. Tapissier
signifie qu'il s'occupait de la décoration des appartements (meubles,
sols et murs) qu'il recouvrait de tapis ou de tentures ou de tapisseries (tissées).
Sa boutique était en plein Paris, près du Pont-Neuf.
Malgré l'opposition de son père, mais avec son aide, Molière
commença sa carrière de comédien en fondant une troupe
ambulante appelée "L'Illustre théâtre". Jusqu'à
l'âge de 36 ans il parcourut le sud de la France. Puis en 1658 il s'installa
à Paris et en 1660 occupa le théâtre du Palais-Royal. Il
y remporte un triomphe avec sa première véritable comédie
: Les Précieuses Ridicules.
Suivent alors une série de chefs d'œuvre dont nous connaissons tous
les titres : L'École des maris, L'École des femmes, Tartuffe,
Dom Juan, Le Misanthrope, Le médecin malgré lui, Amphitryon, L'Avare,
Le Bourgeois gentilhomme, Les Fourberies de Scapin, Le Malade imaginaire…
Pendant toute cette période, Molière mène une vie épuisante.
Il est à la fois auteur dramatique, acteur (il joue dans presque toutes
ses pièces) et directeur de troupe. De plus, non content d'avoir à
faire tourner un théâtre, avec tous les problèmes que cela
pose, il est souvent sollicité par le Roi qui lui demande de toute urgence
des divertissements pour la Cour.
Il ne résista pas à cette vie épuisante et le 17 février
1673, à l'âge de 51 ans, alors qu'il jouait pour la quatrième
fois sa toute dernière comédie, Le Malade imaginaire, il fut pris
en scène d'un malaise et mourut quelques heures plus tard.
Le théâtre de Molière n'est pas un théâtre
de pur divertissement. Il attaque très vigoureusement les travers de
la société de son époque. Par exemple les médecins,
qui étaient encore d'une dangereuse ignorance, les dévots, c'est
à dire ceux qui au nom de la religion prétendaient contrôler
les mœurs de leurs concitoyens, les grands seigneurs, arrogants et immoraux,
les bourgeois prétentieux ou avares… Mais s'il connaît encore
un grand succès, c'est qu'avec une verve extraordinaire, il a touché
à des traits universels et éternels du comportement humain.