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Déposé à la SACD

LA MORT DE CÉSAR

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
César, 56 ans, Sa femme Calpurnia, Son ami Marc-Antoine.
Brutus et Cassius.
Un Romain.

L'HISTORIEN DE SERVICE - César est le plus illustre des Romains. Il remporta de nombreuses victoires et asservit de nombreux peuples, en Gaule, en Espagne, en Afrique, en Égypte, en Asie mineure… A la fin, sa gloire était devenue tellement grande que, lorsqu'il rentra à Rome, ses ennemis, dont le fameux Brutus, craignant qu'il n'y établisse un pouvoir tyrannique, l'assassinèrent. Plutarque, et après lui Shakespeare, ont raconté cette histoire: nous ne pouvons mieux faire que de nous en inspirer de très près. L'action commence dans la maison de Brutus...

- 1 -
CASSIUS – (entrant) Pardon, Brutus, si je te réveille…
BRUTUS - Tu ne me réveilles pas, Cassius, j'ai travaillé toute la nuit. Est-ce de toi cette lettre que l'on m'a fait parvenir à la première heure: "Brutus qu'attends-tu? Tu dors, Brutus… Parle, frappe, redresse, Rome va-t-elle… etc.?"
CASSIUS - Comme ce n'est pas de moi, ce doit être de l'un des nôtres.
BRUTUS - Ainsi donc, vous poursuivez votre sombre dessin d'assassiner César?
CASSIUS - Comment ne le poursuivrions-nous pas…? (Prenant la lettre) "Rome va-t-elle demeurer sous la terreur d'un homme, devrons-nous, nous qui sommes des hommes libres, nous plier aux ordres de celui qui sera demain un roi, et après-demain un tyran?…"
BRUTUS - César ne sera jamais un tyran. Il a même fait preuve jusqu'ici d'une modestie exceptionnelle.
CASSIUS - La modestie n'est que l'échelle aux barreaux de laquelle grimpe l'ambition. Et lorsqu'elle est arrivée au faîte…
BRUTUS - Vous vous entêtez donc vraiment à vouloir vous en débarrasser! Et vous voulez pour cela que je me mette à votre tête. Cependant, je n'ai pas, moi, de raison de le haïr?
CASSIUS - Toi, non, qui est pour ainsi dire son fils adoptif. Mais pour le bien public, pour le salut de Rome, pour la liberté de ses citoyens, pour la tienne même, tu le dois. Joins-toi à notre conspiration, tu y retrouveras les plus nobles des Romains. Aimerais-tu plus César que ta liberté?
BRUTUS - C'est un choix bien cruel que tu veux m'obliger à faire…
CASSIUS - Non seulement César, par ses innombrables victoires, s'est acquis une gloire qui nous menace tous, mais encore, ayant pillé les trésors des peuples vaincus, il a su acheter les consciences de beaucoup de nos concitoyens… Viens, suis-moi, nous irons retrouver nos amis Casca, Cinna, Metellus Cimber et les autres. Ils achèveront de te convaincre. Nous tuerons César lorsqu'il se présentera demain devant les sénateurs, au Capitole.
BRUTUS - Mon ami, où m'entraînes-tu? (ils sortent)

- 2 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – L'action se déplace ensuite dans la maison de César où sa femme Calpurnia lui fait part de ses sinistres pressentiments
CALPURNIA - Seigneur, ô mon auguste César, vous n'allez pas sortir! La tempête cette nuit n'a cessé de gronder effroyablement, des morts sont sortis de leurs tombeaux, des guerriers de feu se sont battus férocement sur les nuages… Tous ces présages sont terrifiants!
CESAR - Et vous, dans votre sommeil, Calpurnia, ma femme, vous vous êtes dressée en criant : "A l'aide, à l'aide, on assassine César." Mais ce sont des terreurs de femmes et rien ne me fera reculer, j'irai au Capitole, les sénateurs m'y attendent.
CALPURNIA - Seigneur, je vous en supplie à genoux…
CESAR - Non, César ne va pas reculer devant ces fantasmagories.
CALPURNIA - Mais César pourtant aime sa femme… Dites aux sénateurs, si vous le voulez, que ce ne sont pas vos craintes, mais le désir d'apaiser les craintes de votre femme qui vous ont retenu à la maison.
CESAR - Le désirez-vous vraiment?
CALPURNIA - Sur notre amour, oui, je vous en supplie, mon doux époux.
CESAR – (pause) Alors, je resterai… Cela me coûte, mais… Pour vous plaire! (entre Cassius) Salut noble Cassius!
CASSIUS - Grand César, je viens te chercher pour te conduire au Capitole.
CESAR - Non, pardonne-moi, je n'irai pas. Calpurnia, ma femme a fait cette nuit des rêves terrifiants. Elle m'a convaincu de rester à la maison. Porte mes excuses aux sénateurs.
CASSIUS - Que leur dirai-je? Que le Sénat doit ajourner ses délibérations jusqu'à ce que la femme de César ait fait de meilleurs rêves. Je les entends déjà murmurer: "César a peur"!
CESAR – César a peur! Tu as raison, cela ne se peut. César n'a pas peur! Calpurnia, mon amie, pardonnez-moi. Vos craintes sont folles. Je me dois d'aller au Capitole. Cassius y veillera sur moi. Et Brutus y sera aussi, sur qui je me repose. Que craindrais-je. Allons…

- 3 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – Maintenant, César s'est mis en route. Il marche dans la rue menant au Capitole.
UN ROMAIN - (lisant à mi-voix) "O César, si tu n'es pas immortel, regarde autour de toi. Prends garde à Cassius et surveille Brutus… Brutus ne t'aime pas et Cassius te déteste. Pour ne rien dire des autres: une seule pensée les habite, t'assassiner… Que les dieux tout-puissants te préservent."
CESAR - (entrant, suivi de Marc-Antoine) Eh bien, nous voici arrivés aux Ides de Mars et malgré les prédictions des devins, je suis encore vivant.
UN ROMAIN – Les Ides de Mars sont arrivées, mais elles ne sont pas encore passées. Seigneur, je vous en prie, lisez ce qui est écrit sur ce parchemin.
MARC-ANTOINE - César n'en a pas le temps. Il va au Capitole où il doit se voir offrir la couronne des triomphateurs…
CESAR - Antoine, mon noble ami, merci de me préserver des solliciteurs. Mais laisse-moi questionner moi-même ce vertueux Romain.
UN ROMAIN - Prenez mon parchemin, Monseigneur, je vous en prie.
CESAR – Mais certainement. Donnez le moi. De quoi y est-il question?
UN ROMAIN - De vous, Seigneur.
CESAR - Si c'est de moi qu'il est question, je vous remercie, mais cela peut attendre, je le lirai plus tard. Ce qui nous touche nous-mêmes passe après le reste, vous le savez bien.
UN ROMAIN - Non, César, n'attendez pas. Lisez tout de suite.
MARC-ANTOINE - Cet homme est impudent de vouloir ainsi retarder César alors, qu'impatients, tous les sénateurs l'attendent.
CESAR - De toute façon, mon bon ami, je vous suis très reconnaissant. Je vous promets que, dès que la cérémonie sera achevée, je le lirai avec beaucoup d'attention… (César et Antoine sortent)
UN ROMAIN - Hélas, il sera trop tard et j'ai bien peur, grand César que, ne l'ayant pas lu maintenant, tu ne puisses plus jamais en prendre connaissance.

- 4 –
L'HISTORIEN DE SERVICE – César a effectivement été assassiné. Au Forum, devant le peuple assemblé Son ami Marc-Antoine prend la parole pour déplorer l'odieux méfait.
MARC-ANTOINE - (parlant aux spectateurs comme s'ils étaient la foule romaine) O Romains, ô mes illustres concitoyens, moi, Marc-Antoine, l'ami de César, je viens vous rapporter des choses trop horribles pour que vous puissiez les croire. César vient d'être assassiné! (pause) Ö Romains, je sens que vous êtes frappés de stupeur. Cela est bien naturel! Mais revenez à vous... César vent d'être assassiné au Capitole par une bande de conjurés jaloux de sa gloire! En témoignage de ce qui s'est passé, je vous ai apporté ici ce manteau, le manteau de César… sur lequel vous pouvez voir les déchirures qu'ont faites les poignards de chacun des assassins… (il montre le manteau) Si vous ne me croyez pas encore, si vous n'avez pas encore le courage de faire face au désastre qui nous frappe, regardez ce manteau transpercé des mille coups de la haine!
CASSIUS - (entrant avec Brutus) Si nous le laissons continuer comme cela, c'est est fait de nous.
BRUTUS - Il va retourner le cœur des Romains, qui pourtant nous était acquis…
MARC-ANTOINE - Mais voici précisément qu'arrive Brutus, cet homme intègre et honorable qui nous dit avoir assassiné César parce qu'il était ambitieux… Non, non, ne le huez pas!
BRUTUS - Arrête, Marc-Antoine, ne soulève pas le peuple contre nous.
MARC-ANTOINE - Silence, je vous prie… Je ne sais pas si César était ambitieux. Ce que je sais seulement c'est qu'il a apporté à Rome une gloire immortelle, et à vous, mes amis, une richesse incomparable…
CASSIUS - Nous n'aurions jamais dû lui laisser prendre la parole!
MARC-ANTOINE - …Une richesse qu'il a fait retomber sur chacun d'entre vous en une pluie de bienfaits… (pause) Ce manteau, je le connais bien, était celui que notre grand homme portait quand il vainquit les Gaulois… J'étais alors à ses côtés! Hier encore la parole de César pesait plus lourd que l'univers! Et maintenant… Ici le poignard de Cassius a cruellement percé l'étoffe, et voyez quelle blessure fit l'envieux Casca, et par ce trou Brutus lui-même, le bien-aimé, a frappé… Et quand il retira l'acier maudit, le sang de César jaillit comme pour demander: est-ce bien Brutus qui m'a frappé? Car Brutus, vous le savez était l'ange de César et lorsque César reçut ce coup, son cœur se brisa!
BRUTUS - Viens, Cassius… Marc-Antoine est tellement éloquent! Il ne nous reste plus maintenant qu'à nous enfuir avant que le peuple de Rome ne se retourne contre nous et ne nous massacre…
CASSIUS - Allons, hâtons-nous! (ils sortent)
MARC-ANTOINE - Non, non, mes amis, ne les poursuivez pas, le temps n'est pas encore venu. Mais il viendra, je vous le promets! Quant à nous, allons chercher le corps de César au Capitole, au pied de la statue de Pompée devant laquelle il a été frappé, et portons-le dans le lieu sacré où nous procèderons à ses funérailles. Après, mais seulement après, nous assouvirons notre vengeance.

RAPPEL HISTORIQUE
Après avoir été d'abord une royauté, la Rome ancienne devint ensuite une République démocratique (en - 494) et plus tard un Empire autoritaire (en – 27). A la charnière des deux époques se trouve César (-101 - 44), le plus grand des Romains.
Durant les premiers siècles de son existence, la République romaine fit progressivement la conquête des tous les territoires qui entouraient la Méditerranée, à tel point que les Romains finirent par se glorifier d'avoir fait de cette mer, leur mer : "Mare nostrum". La part de César dans ces conquêtes fut considérable. La Gaule bien sûr, où il remporta de nombreux succès sur les peuples gaulois, jusqu'au point final de la prise d'Alésia, où s'était retranché Vercingétorix… César s'en fit lui-même l'historien dans son livre fameux "Commentaires sur la guerre des Gaules". Après la Gaule, l'Espagne où il combattit à deux reprises, puis l'Afrique ou plus exactement la bande littorale de l'Afrique du Nord. Enfin l'Egypte où il rencontra la fameuse Cléopâtre, qu'il épousa et à laquelle il fit un enfant, le petit Césarion. Sans parler des expéditions qu'il conduisit en Asie Mineure
César n'eut pas seulement à combattre sur des théâtres extérieurs : il eut aussi à livrer une difficile guerre civile (de 49 à 45) contre Pompée, qu'il poursuivit à travers les Balkans et la Grèce jusqu'en Égypte… Paradoxe : c'est au pied de la statue de Pompée, au Capitole, qu'il tomba sous les coups des conjurés.
Mais surtout, entre deux guerres, César fut un immense homme politique qui, ayant reçu du Sénat romain des pouvoirs considérables, modela la société romaine: organisation de l'État, de la famille, lois civiles, lois agraires, commerce, économie, colonisation… Très persuasif, il savait de plus soigner sa popularité en faisant au peuple et à ses amis des dons magnifiques, prélevés sur les trésors des peuples vaincus. C'est au moment où il se manifestait très personnellement et très fortement dans toutes ces réformes qu'il suscita l'inquiétude des milieux romains libéraux, qui craignaient de le voir abuser de son pouvoir. Il fut assassiné dans les conditions décrites par la pièce ci-dessus.
L'homme César fut lui aussi exceptionnel : d'une intelligence remarquable, d'une énergie sans limites, s'étant lui-même entraîné à supporter la faim, la fatigue et la soif – et ce, malgré les crises d'épilepsie auxquelles il était sujet -, il eut l'habileté de dissimuler ses talents sous les apparences d'un grand seigneur, poète, prodigue et libertin.
César ne fut jamais lui-même Empereur, mais c'est dans son sillage que son fils adoptif, Octave-Auguste, accéda progressivement au pouvoir suprême et devint "Imperator" sous le nom d'Auguste en 27 avant Jésus-Christ. Il fut le premier de la longue lignée des Empereurs romains dont les plus illustres furent Titus, Néron, Constantin, Justinien….