Déposé à la SACD
L'ENFANCE DE JESUS.
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES.
Marie, la mère de Jésus,
Joseph, son père adoptif selon les Évangiles,
Le rabbin, chargé de l'éducation des enfants.
L'HISTORIEN DE SERVICE - A l'exception de l'épisode appelé "Jésus au Temple", il n'y a rien dans les Évangiles qui concerne l'enfance et l'adolescence de Jésus. Le champ est donc libre pour imaginer ce qui a pu se passer, sachant qu'il n'y a pas lieu de croire que la famille dans laquelle Jésus a grandi n'ait pas connu les mêmes problèmes que toutes les autres familles. Et si la tradition affirme si fortement Jésus fils de Marie, cela n'est peut-être pas sans raisons humaines. Quand la pièce commence, Marie et Joseph parlent des problèmes scolaires de Jésus
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MARIE - Je t'ai toujours dit, Joseph, que ce rabbin n'était pas à
la hauteur.
JOSEPH – Marie, tu ne devrais pas parler comme ça d'un rabbin!
MARIE - Il ne m'intimide pas le moins du monde… Je suis persuadée
que j'en sais bien plus que lui!
JOSEPH - C'est possible, mais tu lui dois une sorte de respect. Il est tout
de même le rabbin de notre synagogue, il a voué sa vie à
l'enseignement des Écritures.
MARIE - Je ne supporte pas la façon dont il se conduit avec mon fils.
Il n'a pas l'air de réaliser que…
JOSEPH – Que tu ne sois pas d'accord avec lui, c'est une chose; que tu
le laisses voir en est une autre. Comment veux-tu que cet enfant s'y reconnaisse?
MARIE - Il s'y reconnaît très bien, je t'assure...
JOSEPH - Oui, je sais qu'il est le plus intelligent de tous les enfants! Mais
ne lui fais pas porter des fardeaux qui sont trop lourds pour lui. D'un côté
tu le mets sous l'autorité d'un maître et de l'autre tu lui dis
que son maître n'est pas digne de…
MARIE - Tu n'iras pas prétendre que…
JOSEPH - Tout ce que je demande, moi, c'est que nous puissions en faire un bon
apprenti, bien dans son corps, bien dans sa tête, et que le moment venu
il puisse me succéder à l'atelier.
MARIE - Tu dis toujours la même chose, mais tu sais à quel point
je ne suis pas d'accord!
JOSEPH - Hélas, si je le sais!
MARIE - Mon fils est un descendant direct du roi David et…
JOSEPH - Voici le rabbin. Tâche au moins de lui faire bonne figure.
- 2 -
LE RABBIN - La paix du Seigneur… Bonjour Joseph, bonjour Marie.
JOSEPH - Bonjour, Maître. Entrez.
LE RABBIN - Merci de me recevoir… Je n'ai pas coutume d'aller voir chez
eux les parents de mes élèves, j'aurais trop peur de les déranger.
Mais pour une fois…
JOSEPH - Est-ce que vous auriez des problèmes particuliers avec notre
fils?
LE RABBIN - Je n'ai pas de problèmes particuliers avec votre fils. C'est
un enfant d'une grande intelligence et d'une grande délicatesse et il
se conduit avec moi avec une extrême gentillesse.
MARIE - Tu vois bien!
LE RABBIN - Pardon?
MARIE - Non, non, rien. Je disais simplement à Joseph… Enfin Joseph
avait peur que…
JOSEPH – Vous vouliez nous voir… Nous avions craint qu'il n'ait
fait quelque sottise.
LE RABBIN - Mais pas du tout. Je suis simplement venu parce que, par certains
côtés, il m'inquiète un peu.
MARIE - C'est très aimable à vous, mais…
LE RABBIN - Voyez-vous, j'ai des élèves qui sont d'une docilité
exemplaire: ils m'écoutent et répètent ce que j'ai dit
avec conscience et application. Votre fils, lui… Oh, il a une excellente
mémoire et il me le montre souvent… Mais parfois, c'est comme s'il
ne m'écoutait pas! Est-ce qu'il rêve? Ou comme s'il n'attachait
aucune importance à ce que je lui raconte! Et l'Écriture, au lieu
de l'habiter et de s'en nourrir, j'ai parfois l'impression qu'il s'en évade…
JOSEPH - C'est cela qui vous inquiète?
LE RABBIN - Oui. Il y en a qui, négligeant leur travail, regardent voler
les mouches, mais jamais à ce point… Je ne veux pas dire qu'il
regarde voler les mouches, lui, mais, tout en écoutant parfaitement,
je sens qu'il est ailleurs.
MARIE - Mon fils n'est pas un enfant comme les autres…
LE RABBIN - C'est précisément ce que je suis venu vous dire.
MARIE - J'avais peur que vous ne vous en soyez pas rendu compte.
LE RABBIN - Vous voyez bien que si... Et puis il y a eu cette affaire de théâtre.
JOSEPH - Quelle affaire de théâtre?
LE RABBIN - Vous savez que, conformément à la tradition, nous
faisons parfois composer et jouer par nos élèves de petites pièces
dans lesquelles sont représentés les personnages sacrés
de nos Écritures… C'est une bonne façon de rendre plus vivant
notre enseignement.
MARIE - Je sais qu'il aime beaucoup ça.
LE RABBIN - Il en raffole … Ce qui m'inquiète, c'est qu'il a une
très forte tendance à sortir de la tradition!
JOSEPH - Que voulez-vous dire?
LE RABBIN - Je veux dire qu'au lieu de s'en tenir à ce qui est écrit,
il improvise! Et quand il les incarne, les personnages sacrés adoptent
parfois des comportements inattendus… pas toujours très orthodoxes.
On dirait qu'ils échappent aux préceptes de la Loi. Comme s'ils
étaient au-dessus de la Loi… Pas à côté, ce
qui serait blâmable, mais au-dessus…
MARIE - Ah, vous avez remarqué ça, vous aussi!
LE RABBIN - Oui, et avec une certaine fascination pour les miracles. Il aime
les représenter. Et il ne se contente pas de ceux de l'Écriture,
il en invente.
JOSEPH - Il a de l'imagination et ce n'est que du théâtre!
LE RABBIN - Oui, bien sûr... Mais l'autre jour par exemple, il a imaginé
que… Les enfants avaient sculpté avec de la glaise des petits oiseaux
qui picoraient, c'était charmant…
MARIE - Oui, et alors…
LE RABBIN - Eh bien, il a pensé que ces petits oiseaux pourraient devenir
vivants… dans la pièce, bien sûr! et il a étendu les
mains - toujours dans la pièce - et les oiseaux se sont envolés.
Il avait inventé je ne sais quel truc pour créer l'illusion.
MARIE - Mais c'est très bien. Est-ce que le Seigneur n'est pas tout-puissant
et est-ce qu'il ne peut pas faire que des oiseaux de glaise s'envolent?
LE RABBIN - Si, bien sûr! Mais ça n'est pas dans les Écritures
et cette idée m'a tout de même paru étrange. Pourquoi faire
voler des statues?
MARIE – Il y a peut-être des raisons. Ce qu'il fait est bien fait.
LE RABBIN – Je n'en suis pas certain! (un temps) J'ai simplement voulu
vous avertir de toutes ces choses. A vous de voir ce que vous pouvez en faire.
Je vous laisse… Au revoir, Marie, au revoir, Joseph…
- 3 -
MARIE - Je l'avais sous-estimé. Il n'est pas si mal que ça, ce
rabbin.
JOSEPH – Oh, naturellement, après toutes les choses aimables qu'il
t'a dites de ton fils! Moi, je suis comme lui, cela m'inquiète. Le métier
de charpentier ne supporte pas la fantaisie: une charpente, cela doit résister
aux atteintes du temps. Et il y a des règles! Et jamais de miracles.
MARIE - Moi, cela ne m'inquiète pas, cela m'enchante. Celui qui ne sort
pas des règles ne fait rien de grand. Or, j'en suis persuadée,
mon fils est appelé à faire de grandes choses.
JOSEPH - Marie, ce n'est pas seulement Jésus qui m'inquiète, c'est
toi. Comment peux-tu penser cela? Tu lui montes la tête, à ce gosse!
Aucun enfant ne peut résister à l'influence de sa mère.
MARIE - Je l'ai porté dans mon ventre, et maintenant je le porte dans
mon esprit. Et dans mon esprit je le fais venir à un autre monde et je
lui prépare un avenir hors du commun.
JOSEPH - Tu vas en faire un perpétuel inadapté! Moi, je te le
répète, je voudrais qu'il ait les pieds sur terre et qu'il se
sente bien avec les gens du village, qu'il soit humble et bon avec eux et qu'il
se rende utile. Qu'est-ce qu'un homme peut souhaiter de plus?
MARIE - (ironique) Oui, et qu'il rentre tranquillement du travail chaque soir
et qu'il mette tranquillement les pieds sous la table pour manger le bon petit
repas que sa tendre petite femme lui aura préparé. Et cela, tous
les jours de sa vie!
JOSEPH - Et cela, tous les jours de sa vie.
MARIE - Eh bien, moi, je lui veux un autre destin… Je ne sais lequel,
mais un grand destin. Et je sais qu'il l'aura. Ne me demande pas comment je
le sais, mais je le sais. Et toutes les femmes me béniront…
JOSEPH - Marie, tu es plus forte que moi et je sais bien que tu ne feras que
ce que tu voudras. Mais je t'en prie, réfléchis. Et si tu as la
moindre affection pour moi…
MARIE - J'ai beaucoup d'affection pour toi. Mais permets-moi de te dire, Joseph,
que ces choses ne te regardent pas. (un temps) Cependant, ce soir encore, et
demain aussi, et tous les jours qui viennent, je te ferai ton souper. Allons,
viens te mettre à table!
RAPPEL HISTORIQUE
Qu'est-ce que "Les Ecritures", auxquelles il est souvent fait allusion
dans le texte de la pièce? C'est ce qu'on appelle couramment "La
Bible" (ou "Le Livre"), qui contient effectivement les écritures
sacrées des Juifs et des Chrétiens (bien que tous les textes ne
leur soient pas communs). Dans la tradition juive, la Bible s'appelle la Tora,
dans la tradition chrétienne, la Bible. Les Musulmans reconnaissent aussi
la Bible comme un livre saint. C'est pour cela que la religion juive, la religion
chrétienne et la religion musulmane sont appelées "les Religions
du Livre".
Dans la Bible chrétienne, il y a en particulier les quatre Évangiles,
qui racontent la vie de Jésus. Mais à côté de ces
quatre Évangiles officiels, il y en a une quantité d'autres, appelés
les évangiles apocryphes, que l'Église catholique ne reconnaît
pas et qui regorgent d'anecdotes surprenantes et pittoresques, en particulier
concernant l'enfance de Jésus.
Les récits de L'Évangile ont placé la "volonté
du Tout-Puissant" comme moteur essentiel de l'action de Jésus. Dans
une perspective moins mystique et plus historique, il n'est pas interdit de
réintroduire dans cette histoire les propositions de la psychologie moderne
(dont Freud, un Juif, est un des fondateurs). Cette psychologie donne une grande
place à l'influence des parents sur l'enfant, en particulier de la mère.
Marie, ne l'oublions pas, est une mère juive.
Il y a des miracles dans l'Ancien Testament: le passage de la mer rouge, la
destruction des remparts de Jéricho, l'envol de d'Élie dans un
char de feu. Il y en a encore davantage dans le Nouveau Testament: guérisons
diverses, multiplication des pains, marche sur l'eau, résurrection de
Lazare… L'histoire des oiseaux de glaise a été empruntée
à l'un des évangiles apocryphes, avec cette différence
que dans leur texte ce n'y est pas un miracle de théâtre, mais
un vrai miracle!
Littérairement, les Évangiles utilisent beaucoup la parabole.
Mais l'Ancien Testament fait grand usage de récits dialogués qui
sont pratiquement des petites pièces de théâtre (par exemple
l'histoire de Joseph en Égypte, ou celle de Moïse, ou le dialogue
de Dieu et d'Abraham). En faisant allusion à une pédagogie par
le théâtre, nous sommes par conséquent dans le droit fil
de la tradition juive, dans laquelle le théâtre (en particulier
le théâtre yiddish), les chants et les danses tiennent une grande
place.
Un mot sur "La LOI". La religion juive est caractérisée,
surtout à l'époque de Jésus, par un grand nombre de prescriptions
et d'interdictions. Or, on trouve dans les Évangiles des passages où
l'importance de la loi est relativisée, car pour Jésus, l'homme
passe avant les préceptes. Il n'est pas étonnant que, dans son
enfance, ce même Jésus ait déjà pris ses distances
par rapport à la tradition.