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Déposé à la SACD

TROTSKI ENTRE GUERRE ET PAIX

par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )

PERSONNAGES
Deux citoyens russes: Piotr et Youri.
Lénine et Trotski.
Le général allemand Max Hoffman, le comte autrichien Czernin,
Talat Pacha, dignitaire de l'Empire ottoman


1 – Le printemps à Petrograd!
PIOTR - Je n'ai jamais rien vu de tel que ce printemps à Petrograd....
YOURI - Camarade... Oui, ça y est, c'est le printemps à Petrograd, la Révolution est faite... Oui, on ne dit plus maintenant Saint-Pétersbourg, trop allemand! mais Petrograd... signe des temps. Petrograd, c'est russe!
PIOTR - Oui, la fameuse Révolution "russe" est faite...
YOURI - Nous nous sommes précipités, nous rentrons de nos exils et nous retrouvons nos amis. Tu as raison, en ce mois de mai 1917, on respire à Petrograd une extraordinaire atmosphère de liberté!
PIOTR - Oui vraiment, d'extrême liberté! Tu peux dire ce que tu veux, écrire ce que tu veux, penser ce que tu veux...
YOURI - Le Tsar et ses ministres ne sont plus que de vagues fantômes flottants dans l'air du temps passé!
PIOTR - On n'a pas beaucoup à manger, mais finie l'armée, finie la police, finie la censure! Quelle joie!
YOURI - Plus la moindre autorité pour défendre le moindre ordre établi. Plus de vérité obligatoire...
PIOTR - Justice pour les opprimés, liberté pour les prisonniers, retour pour les exilés!
YOURI - Finie la peine de mort... On peut aller et venir librement, entrer et sortir du pays.
PIOTR - On peut se réunir autant qu'on veut, poser ses problèmes, exprimer ses revendications.
YOURI –La fin des riches. On va donner la terre aux paysans, les usines aux ouvriers.
PIOTR - On va même pouvoir élire nos députés au suffrage universel... Parce qu'il va y avoir des élections et des députés!
YOURI - Les rues de la capitale sont pleines de gens qui chantent. Des soldats, des marins, des ouvriers... Tout le monde!
PIOTR – Joie partout, joie pour tous! Je te le dis: le pays le plus libre du monde! Ils chantent et s'informent... et ils disent ce qu'ils ont sur le cœur.
YOURI - Même les écoliers, qui décident d'apprendre la boxe pour qu'on les respecte enfin! C'est touchant.
PIOTR - Et vive les Soviets, ces assemblées du peuple qui ont été démocratiquement élues un peu partout. Maintenant, il est possible de s'exprimer!
YOURI - Si seulement on n'avait pas ce problème de la guerre, si seulement on avait la paix...
PIOTR – Oui, si seulement on avait la paix...

2 – Il faut mettre fin à la guerre
HISTORIEN DE SERVICE - C'est vrai qu'il y avait une guerre en cours... La trop fameuse guerre de 14-18, durant laquelle la Russie, alliée de l'Angleterre et de la France, combattait l'Allemagne et l'Autriche... et aussi l'Empire ottoman! Et si la joie de la liberté éclatait dans les rues de Petrograd, les choses n'allaient pas bien du tout pour l'armée russe, découragée, abattue, affamée, qui cédait de toutes parts sous la pression des troupes allemandes. Mais pour les pacifistes déterminés qu'étaient les révolutionnaires, cette guerre était inadmissible et ceux qui venaient, quelques mois plus tôt, de renverser le Tsar n'allaient pas laisser traîner les choses.... La liberté ne va pas sans la paix! Au besoin, on l'imposerait... Et voici justement Lénine, l'homme de fer de la Révolution... Il dit:
LENINE – "Notre gouvernement considérerait comme le plus grand crime contre l'humanité de continuer à faire la guerre à seule fin de décider lesquelles des nations riches et puissantes, conformément aux traités secrets passés entre elles, domineraient les nations les plus faibles. Nous refusons cela de toutes nos forces. Notre gouvernement proclame solennellement sa résolution de conclure une paix également juste pour toutes les nations, une paix qui donne à chaque peuple le droit de disposer de lui-même..." Trotski, toi qui parles toutes les langues et qui connais le monde entier, tu iras à Brest-Litovsk, la sombre forteresse, tu y rencontreras l'Etat-major allemand et vous y négocierez la paix. Nous sommes de vieux camarades! Sans toi, sans moi, la Révolution n'aurait jamais eu lieu. Faire la paix ne sera qu'un jeu pour toi. Dépêche-toi de partir... Tu feras la paix et notre bonheur sera complet.
TROTSKI – Je me mets immédiatement en route.

3 – Pourparlers de Brest-Litovsk
TROTSKI - Messieurs, je suis le Commissaire à la guerre de la Russie soviétique... Voyons si je ne me trompe.... Vous êtes... le général Max Hoffman...?
GENERAL MAX HOFFMAN - Lui-même, monsieur Trotski, représentant l'Empire allemand!
TROTSKI - C'est bien ce que je pensais... Monsieur le comte Czernin sans doute...?
COMTE CZERNIN - C'est exact... Autriche-Hongrie!
TROTSKI - Et enfin son Eminence Talat Pacha...
TALAT PACHA - Oui... De l'Empire ottoman.
TROTSKI - Messieurs, je vous salue... Je rends hommage à nos gouvernements qui ont consenti à un armistice pour nous permettre de nous rencontrer...
TALAT PACHA – Je suggère que nous nous asseyons!
TROTSKI - Naturellement... Messieurs, je suis ici pour vous informer de la volonté de mon gouvernement, celui de la Russie révolutionnaire, de faire un pas de plus et de conclure définitivement la paix.
GENERAL MAX HOFFMAN - La paix? Pourquoi parlez-vous de paix... Enfin! Nous avons reçu ordre de vous écouter avec les plus grandes réserves... La paix...? Mais parlez...
TALAT PACHE – Notre gouvernement n'est pas particulièrement disposé à... Monsieur Trotski, la paix, vous dites? Etrange!
COMTE CZERNIN – Je ne peux qu'exprimer à mon tour mon étonnement! La paix...? Nos affaires marchent si bien!
TROTSKI – Oui, la paix! Je n'ai rien de plus à dire... La paix! Nous regrettons simplement que tous les gouvernements de nos alliés, je veux dire l'Angleterre et la France, ne soient pas représentés ici. Quand je dis la paix, je veux dire une paix générale! Quand tous les combattants auront réalisé que la révolution populaire qui vient d'éclater en Russie va se répandre comme une traînée de poudre à travers l'Europe... Car nous sommes très évidemment à la veille du soulèvement général...
GENERAL MAX HOFFMAN - De quoi parlez-vous, Monsieur Trotski?
COMTE CZERNIN - Une révolution dans l'empire Austro-hongrois? Vous rêvez!
TALAT PACHA - Quant à nous, Empire ottoman.... Jamais nous n'avons été plus maîtres de nous!
TROTSKI - On voit bien que vous ne savez pas ce qui vous attend. Mais nous autres communistes, nous avons nos informateurs. Le socialisme révolutionnaire est à la veille de triompher partout. Le formidable incendie qui s'est allumé en Russie embrasera bientôt tout le monde civilisé. Et d'ailleurs des grèves et des manifestations pour la paix ont déjà eu lieu dans vos pays, prenez-y garde... Si, si, nous sommes au courant! Donc, inutile de faire la guerre plus longtemps, c'est un cadeau que nous vous offrons, et convenons une bonne fois de faire la paix. Une paix qui permettra enfin aux nations de disposer d'elles-mêmes!
GENERAL MAX HOFFMAN - Nous sommes très impressionnés par votre générosité, monsieur le représentant du gouvernement révolutionnaire...
CONTE CZERNIN - Permettre aux nations de disposer d'elles-mêmes, ce n'est pas dans notre tradition. Plaisantez-vous?
TROTSKI – Pas le moins du monde...
GENERAL MAX HOFFMAN – Nous ne sommes en tout cas pas hostiles par principe à la paix. Nous y mettrions cependant quelques conditions...
TALAT PACHA – Il est naturel qu'il y ait des conditions!
GENERAL MAX HOFFMAN – Donc, pour faire la paix que vous demandez avec tant d'insistance, nous exigeons d'abord l'Ukraine...
TROTSKI - Mais l'Ukraine fait partie de la Russie!
GENERAL MAX HOFFMAN - Nous ne l'ignorons pas. Mais vous savez aussi qu'il y a des patriotes ukrainiens avec lesquels nous sommes en train de négocier... précisément au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes!
TROTSKI – Quelle traitrise! Nous ne permettrons jamais...
GENERAL MAX HOFFMAN - Et en sus de l'Ukraine, nous réclamons la Pologne....
TROTSKI - Mais la Pologne est, doit être, sera une nation indépendante!
GENERAL MAX HOFFMAN - Et en sus de l'Ukraine et de la Pologne, nous voulons aussi la Biélorussie, l'Estonie, la Lituanie et la Lettonie...
TROTSKI - Ce n'est pas du tout une paix comme nous l'entendons... Et vous en profiteriez pour envoyez toutes vos troupes qui combattent en Russie renforcer le front de l'Ouest, où elles écraseraient les révolutions française et anglaise, qui sont en train de couver là-bas! Jamais nous ne conclurons une paix comme celle-là.
COMTE CZERNIN – Vous faites des illusions. Il n'y a aucune révolution là-bas!
GENERAL MAX HOFFMAN – Il n'y a pour nous aucune raison de ne pas continuer la guerre...
COMTE CZERNIN – Et dans l'état où sont les armées russes, vous ne pourrez pas vous opposer longtemps!
TROTSKI - Eh bien, messieurs, puisqu'il en est ainsi, ni paix, ni guerre.
GENERAL MAX HOFFMAN - Vous voulez bien dire ni la guerre, ni la paix?
TALAT PACHA - Cela me paraît difficile...
TROTSKI - C'est exactement ce que je dis. Ni la guerre, ni la paix!
GENERAL MAX HOFFMAN - Monsieur Trotski, jamais aucun diplomate sensé...
TROTSKI - Nous ne sommes pas des diplomates sensés, nous sommes des révolutionnaires, rompus à la dialectique! Nous cessons la guerre et nous démobilisons notre armée. Je suis persuadé que vous n'aurez pas la tentation d'en abuser. Comment faire la guerre à quelqu'un qui s'y refuse?
GENERAL MAX HOFFMAN - Malheureusement... Laissez-moi le temps de bien réfléchir à la situation inédite qui... oui... Malheureusement, je dois vous dire, monsieur Trotski, que l'idée de continuer à faire la guerre tout seuls ne nous fait pas peur du tout... Rien ne peut empêcher l'Allemagne de faire la guerre. Nous avons aussi notre logique à nous. Y a-t-il quelque chose à ajouter?
TROTSKI – Si telle est votre position, je ne le crois pas... En attendant l'époque prochaine où les classes ouvrières de tous les pays prendront le pouvoir, nous refusons d'accepter les conditions que les impérialismes allemands et austro-hongrois veulent écrire à la pointe de l'épée sur la chair vivante des nations et nous retirons notre peuple et notre armée de la guerre.... Messieurs, je vous salue!

4 – Le prophète de la paix devient le dieu de la guerre
HISTORIEN DE SERVICE - La paix... Les Allemands ne se laissèrent pas impressionner et sans attendre, ils envahirent l'Ukraine... Eux qui mouraient aussi de faim, ils avaient trop besoin du blé de l'Ukraine, qui avait toujours été le grenier de la Russie. De leurs côtés, les Autrichiens entrèrent à Odessa et les Turcs à Trébizonde... L'armée russe, l'armée des Tsars, était dans un tel état de décomposition que de toute façon elle se révélait incapable de résister. Et les Puissances centrales devinrent tellement menaçantes que même Petrograd fut évacuée. En fin de compte les Soviets furent quand même obligés de signer une paix calamiteuse... En attendant de reprendre la guerre...
LENINE – Nous ne pouvions faire autrement. Camarade Trotski, devant l'urgence de la situation, je vous nomme Commissaire à la guerre.
TROTSKI - Moi, le champion de la paix?
LENINE - Vous avez jusqu'ici été le champion de la paix. Je vous demande maintenant de devenir le champion de la guerre. Vous seul en avez le génie, la lucidité, l'énergie...
TROTSKI - Camarade Lénine...
LENINE - Les Allemands ne se sont pas contentés d'occuper l'Ukraine, ils ont pris la Crimée et envahi les côtes de la Mer noire. D'autre part, nous faisons tellement peur aux nations que les Japonais ont attaqué la Sibérie et pris Vladivostok, les Français et les Anglais ont débarqué à Mourmansk, la Légion tchèque s'est soulevée contre les Soviets, et un peu partout en Russie les ennemis du socialisme, financés par nos adversaires internationaux, lèvent des armées et dévastent les campagnes... A tel point que pour nous la guerre étrangère se transforme en une véritable guerre civile... Camarade Trotski, il faut que vous nous inventiez une armée pour nous défendre. Camarade Trotski, faites un miracle. Camarade Trotski, vous êtes l'homme de l'Armée rouge!
TROTSKI - Ainsi la Paix enfante-t-elle la Guerre.... Mais nous savons que la guerre est elle-même la mère de toutes choses! J'étais donc l'homme de la paix. Je brûlerai ce que j'ai adoré. Je serai dorénavant l'homme de la guerre. Je la ferai jusqu'à l'extrême...

5 – La guerre civile.
HISTORIEN DE SERVICE – L'ancienne armée des Tsars était inutilisable. Dès le début de 1918, Trotski en forma une à partir des unités des Gardes rouges... En 1921, l'Armée rouge comptait cinq millions d'hommes. Ce chiffre donne une idée de l'ampleur des combats... Armées rouges des Soviets, armées blanches des nobles et des propriétaires terriens, aidées par les puissances étrangères, armées vertes des paysans qui essayent de défendre leurs terres... Tout cela tourbillonne dans tous les sens. Marches et contremarches! Les combats se livreront surtout le long des voies de communication, des routes, des fleuves, des voies ferrées... - Trotski avait son train blindé, d'où il dirigeait les opérations! - mais aussi dans les vastes plaines de la Russie, dans ses forêts profondes, sur des lignes de front toujours mouvantes. Ces combats de va-nu-pieds seront infiniment misérables et infiniment cruels, les prisonniers seront exécutés, les populations civiles torturées et tuées, les richesses du pays pillées, les infrastructures démantelées... Aussi bien par les uns que par les autres! Partout la famine, la trahison, le froid, la peur, la désolation: toutes les horreurs d'une guerre civile portée à l'extrême dans un pays aux passions sans limites... Combien de morts fit cette guerre? Nul ne le saura exactement. On avance le chiffre de dix millions... Les Russes furent épouvantés de ce qu'ils avaient fait, mais ils l'avaient fait!


6 – Désenchantement à Petrograd
YOURI - A Petrograd, le printemps n'a pas duré bien longtemps.
PIOTR - C'est l'hiver! La terreur révolutionnaire nous est tombée dessus comme une grande claque terrifiante et glacée.
YOURI - Les adversaires de la Russie nouvelle ont levé des armées aux frontières, la guerre civile fait partout rage.
PIOTR - La conscription a été organisée, les uns après les autres nous sommes enrôlés comme soldats.
YOURI - Le Tsar a été exécuté impitoyablement avec toute sa famille à Ekaterinbourg
PIOTR - Les récoltes des campagnes sont pillées, les révoltes de paysans sont noyées dans le sang.
YOURI - Plus question d'élections libres, ce sont les Bolcheviques qui décident de tout. Ils ont totalement pris le pouvoir.
PIOTR - Après l'attentat contre Lénine, la Tcheka, la plus redoutable des polices politiques, est entrée en action.
YOURI - On torture, on fusille dans les prisons. Ils déportent les opposants, ils envoient les suspects dans des camps en Sibérie.
PIOTR - Comment des causes si justes, des révolutions si nobles, ont-elles pu provoquer cette catastrophe?
YOURI – La misère est terrible. On arrive à peine à se loger. On habite à quatre familles dans un seul appartement.
PIOTR - Défense de penser par soi-même. Il n'y a que la ligne du Parti. On se dénonce les uns les autres et ils vous exécutent pour un rien.
YOURI - Ils tirent sur les manifestants. On n'a pas de quoi se chauffer, on n'a pas de quoi manger.
PIOTR - De moins en moins de quoi manger, de moins en moins de quoi se chauffer...
YOURI - De toute façon, nous avons été dépouillés de nos libertés et les ouvriers n'ont pas pris possession des usines ni les paysans de leurs terres.
PIOTR - Nous sommes au régime du travail forcé.... nous titubons d'épuisement.
YOURI - Comment des citoyens si généreux ont-ils pu devenir d'un seul coup de si féroces tyrans?
PIOTR - Comment nous-mêmes avons-nous été capables de nourrir un jour de telles illusions...
YOURI - Et de devenir ces hommes et ces femmes misérables que la Révolution a engendrés, loups contre loups?
PIOTR - Oui, à Petrograd, cet hiver, oui... la terreur bolchevique nous est tombée dessus comme une grande claque terrifiante et glacée.
...

RAPPEL HISTORIQUE

Léon Trotski (Lev Davidovitch Bronstein) naît en Ukraine en 1879 d'une famille juive. En 1902, le jeune révolutionnaire Trotski est exilé en Sibérie, d'où il réussit à s'évader. Il va combattre pour ses idées en Angleterre.
Le dimanche 22 janvier 1905, à la suite de la défaite russe devant le Japon et à cause de la misère dans laquelle vivait le peuple de la Russie, une énorme manifestation se produisit à Saint-Pétersbourg. Les manifestants apportaient une supplique au Tsar Nicolas II, demandant la libération des opposants et l'octroi d'une constitution. Ils furent repoussés violemment. Il y eut ... on ne le sait pas bien... entre 300 et 3.000 morts (le Dimanche rouge!). Trotski était revenu en Russie. De nouveau il est envoyé en Sibérie. Il s'évade encore.
En 1912, il fonde à Vienne le journal La Pravda. En 1914 éclate la première guerre mondiale! Trotski vient en France, puis en Espagne, enfin aux Etats-Unis...
Trotski retourne en Russie au moment des Journées de Février 1917 (première phase de la Révolution), avec l'idée, conforme aux Thèses de Lénine, qu'il faut impitoyablement faire une "révolution totale et permanente". Il participe ensuite activement et intensément aux journées d'Octobre 1917 (deuxième phase de la Révolution: prise de palais d'hiver) où les Bolcheviques prendront définitivement le pouvoir.
Trotski devient Président du Comité révolutionnaire permanent et il est chargé, à ce titre, de négocier avec les Allemands à Brest-Litovsk l'arrêt des combats (en vertu de leur alliances avec la France et l'Allemagne, les Russes sont aux prises avec l'Allemagne). Lénine, en cela conforme à ses idéaux, refuse de continuer la guerre, mais Trotski n'arrive pas à convaincre les Allemands d'en faire autant. Les Allemands en profitent pour envahir l'Ukraine et imposer leur paix.
Trotski prend alors en charge l'organisation de l'armée rouge. Malheureusement, les Bolcheviques ont pris l'idée même d'une armée en horreur. Ils haïssent l'ordre et la discipline. Ils n'ont jusqu'ici vu de la Révolution que le désordre, l'arbitraire et la rébellion. Les soldats de la terrible armée du Tsar ont tué leurs officiers, constitué des comités de soldats, décidé d'élire leurs chefs... Ce qui est incompatible avec la conduite d'une guerre. En dépit de tous les tabous révolutionnaires, la nouvelle armée a besoin d'être fortement centralisée et commandée. Trotski formera donc cette armée, non des débris de l'ancienne, qui sont irrécupérables, mais en s'appuyant sur les formations naissantes des Gardes rouges: eux seuls ont l'enthousiasme et la ténacité nécessaire pour supporter les efforts terribles qui allaient leur être demandés. Puis, de proche en proche, de cercle en cercle, après avoir installé des bureaux de recrutement dans chaque province et presque dans chaque ville, Trotski mobilisera de nouvelles couches de combattants. Il sera impitoyable! Mais les révolutionnaires ne savent pas encore faire la guerre. Pour encadrer ces soldats novices, il fera appel aux anciens officiers de l'armée du Tsar, qui sont les seuls à posséder les compétences stratégiques nécessaires. Pour qu'ils ne trahissent pas leurs nouveaux maîtres, ces officiers seront flanqués de commissaires politiques qui les surveilleront. S'ils ne se comportaient pas comme des officiers loyaux, la police s'en prendrait à leurs familles, qui seraient exécutées.... En 1921, l'armée rouge, entièrement organisée et animée par Trotski, comptera cinq millions de soldats! Elle se sera constituée au long d'une épouvantable guerre civile qui durera plus de trois ans et qui s'étendra sur presque tout le territoire de la Russie. Episode affreux... Partout en effet des armées, que nous appellerons "blanches" – par opposition aux révolutionnaires qui sont dits les "rouges"!- se forment pour défendre l'ordre tsariste et les anciens propriétaires. Ces armées sont financées, équipées et entraînées – secondées aussi – par des forces anglaises, françaises, turques, japonaises, tchécoslovaques, américaines, chinoises... Les Bolcheviques font peur et ils ont tellement d'ennemis! Sans parler des armées "vertes", troupes de paysans affolés qui ne veulent s'engager ni d'un côté ni d'un autre et tentent désespérément de protéger leurs biens et leurs récoltes...
Il est dit que la révolution russe n'a eu lieu que grâce à l'exceptionnelle conjonction de Trotski et Lénine. La violence à laquelle elle fut condamnée tient d'une part au tempérament de fer de ses deux dirigeants; qui avaient une conception centralisatrice et absolue de leur pouvoir, mais aussi aux circonstances terribles d'une guerre civile qui les contraignit à tous les excès.
Trotski, entré en conflit avec Staline durant la guerre civile, se vit par la suite progressivement supplanté par lui et dut partir en exil en 1930. Devenu le symbole d'une "autre révolution", plus grande, plus généreuse et plus internationale (la IVème Internationale) et considéré comme le mythique "éternel opposant", il fut assassiné par les staliniens en 1940 au Mexique.