Déposé à la SACD
NELSON MANDELA
par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
L'historien de service, le Président, Nelson Mandela,
Un citoyen blanc et une citoyenne blanche
Le juge, l'indépendantiste Steve Biko,
Donald Woods, le Président de Klerk.
1 – Les commencements de l'Afrique du Sud
L'HISTORIEN DE SERVICE – Comment parler de Nelson Mandela sans parler
d'abord de l'Afrique du Sud? Mais l'histoire de l'Afrique du Sud n'est pas facile
à raconter... Avant l'arrivée des blancs, elle était habitée
par des populations noires peu nombreuses: les Bushmen et les Hottentots dans
la région du Cap, plus haut les Zoulous et Les Bantous... et par-ci par
là quelques autres populations de moins d'importance... Aux seizième
et dix-septième siècles, les bateaux portugais ou hollandais qui
s'en allaient chercher fortune aux Indes, prirent l'habitude de faire escale
au Cap, pour y prendre de l'eau, des légumes et de la viande. Comme les
lieux n'étaient pas désagréables, les Hollandais y installèrent
de petits établissements côtiers. Ils furent rejoints à
la fin du dix-septième siècle par des protestants français
qui avaient été chassés de France par la Révocation
de l'Edit de Nantes. Avec quelques Allemands, ils formèrent le cœur
de la population blanche. Ils parlaient l'afrikaner et vivaient dans des communautés
fermées d'inspiration protestante. Au début du dix-neuvième
siècle, survinrent les Anglais, par l'odeur alléchés. Lesquels
se montrèrent tellement "insupportables", avec leurs idées
libérales et leur mauvaise éducation, que les Afrikaners, de tradition
patriarcale autoritaire et puritaine, décidèrent d'aller s'installer
ailleurs. Ils partirent au milieu du dix-neuvième siècle et, bousculant
les Zoulous qui se trouvaient sur leur chemin (bataille de Blood River), s'en
allèrent s'installer au nord-est, du côté de Johannesburg,
où ils fondèrent, la République libre du Transvaal et la
République libre d'Orange. Cependant que les Anglais, pour compliquer
la situation, faisaient venir dans la région de Durban des travailleurs
en provenance des Indes. Mais quand, ô miracle, les Afrikaners eurent
trouvé dans leur nouvelle patrie de l'or et des diamants, les mêmes
Anglais, sous d'excellents prétextes, se précipitèrent
et menèrent contre eux une guerre très sanglante qui dura de 1899
à 1902. Naturellement, les Anglais, qui y avaient employés 500
000 hommes! furent vainqueurs et les accords qu'ils passèrent ensuite
avec les Afrikaners consacrèrent l'hégémonie des cinq millions
de blancs sur les quarante-cinq millions de non-blancs du territoire. Blancs,
non-blancs... c'est de cette opposition que naquit l'histoire tourmentée
que nous allons conter.
2 - Naissance de l'Apartheid
LUI – Le drame, dans toute cette affaire, c'est que nous ne pouvons pas
supporter ces gens-là!
ELLE – Absolument pas, vous avez bien raison! Nous sommes tout de même
en 1950...
LUI – Nous ne pouvons pas les supporter, mais nous ne pouvons pas nous
en passer.
LE PRESIDENT - C'est la raison pour laquelle, moi, le président de l'Afrique
du sud, sachant que la mission que nous avons reçue de Dieu est de protéger
les peuples inférieurs et de leur permettre de se développer...
de leur côté, selon leur voie, je décrète, pour que
tous soient satisfaits, que d'abord chacun dans le pays sera bien étiqueté
selon sa race: les blancs, les noirs, les colorés, les indiens... etc.
Il y en a qui trichent! Qu'on sache à quoi s'en tenir.
LUI - Très bien, c'est un premier pas...
LE PRESIDENT - Et pour couper court à toute discussion, les noirs en
particulier devront toujours être porteurs de leur laissez-passer...
ELLE - Parfait. On ne sait pas toujours à qui on a affaire... Il y en
a qui sont plus ou moins noirs.
LE PRESIDENT - Je décrète également que les non-blancs...
mais est-ce la peine de le dire? ne pourront pas coucher avec les blancs...
ni évidemment avec les blanches. Encore moins se marier.
ELLE - Naturellement... Quelle horreur!
LE PRESIDENT - Ni fréquenter les mêmes cafés, ni pisser
dans les mêmes toilettes...
LUI - C'est tellement dégoûtant!
LE PRESIDENT - Ni évidemment habiter dans les mêmes endroits...
ELLE - Ah, ah, enfin.... Chaque chose à sa place, un peu d'ordre nous
fera du bien.
LE PRESIDENT - Conséquemment, des zones spéciales, des petits
royaumes pour ainsi dire, seront aménagées pour les noirs, dans
lesquelles ils devront se tenir, sauf à être autorisés à
venir travailler chez les blancs...
ELLE - Oui, parce qu'il faut bien tout de même que la vaisselle soit faite,
que les ordures soient enlevées...
LUI - Et aussi les usines, l'agriculture, les services publics, les mines surtout...
Il faut penser à tout. Je vous l'avais bien dit, on ne peut pas s'en
passer!
LE PRESIDENT - Mais rassurez-vous, les noirs n'auront pas droit à l'enseignement
professionnel et ils ne pourront pas accéder à des fonctions de
responsabilité.
ELLE - A quoi bon le dire, ils n'en seraient pas capables.
LE PRESIDENT - Et chaque soir, ils devront réintégrer les cabanes
de leurs townships.
LUI - Cela nous fera au moins des nuits tranquilles!
LE PRESIDENT - Et naturellement nous aurons une vigoureuse police. De toute
façon, les noirs n'auront pas le droit de faire de grève, ni d'organiser
de résistance passive.
ELLE - Il ne manquerait plus que cela!
LE PRESIDENT - Car il faut éviter jusqu'au souvenir de ce Gandhi qui
est si dangereux. Les Anglais vont s'y laisser prendre: nous ne ferons pas la
même erreur!
3 – Le procès de Nelson Mandela
L'HISTORIEN DE SERVICE - Toutes ces dispositions, et d'autres encore, instaureront
un état de fait qui s'appellera l'Apartheid... Savez-vous à quoi
me fait penser cette situation? Permettez-moi, en tant qu'historien... juste
une petite histoire! Les dieux de Babylone se révoltèrent un jour
contre leur maître, le super-dieu Marduk: ils en avaient assez de faire
les travaux nécessaires pour entretenir le monde et pourvoir à
leur propre subsistance... Après quelques jours de grève, Marduk
eut une idée géniale et il créa les hommes. Les hommes
seraient des sous-êtres qui seraient les serviteurs de dieux et travailleraient
à leur place. Et cela fonctionna parfaitement bien... Les blancs d'Afrique
n'eurent même pas la peine de créer des sous-hommes: les sous-hommes
étaient déjà là, lorsqu'ils débarquèrent,
et ils les traitèrent effectivement en sous-hommes... Et il arriva ce
qui devait arriver. Les noirs, ou si vous préférez les non-blancs,
ou si vous préférez les sous-hommes, ne purent pas supporter cet
Apartheid et ils se révoltèrent. Ils organisèrent la résistance,
en particulier au sein de leur "Congrès National Africain".
Il y eut pendant très longtemps des émeutes, des arrestations,
des exécutions... Et un beau jour, leur chef, Nelson Mandela, un avocat
noir, fut capturé... et jugé. Nous sommes en 1964...
LE JUGE - Monsieur Mandela, les tribunaux sud-africains sont très sévères,
mais conformément à la tradition anglaise, avant de prononcer
le jugement, ils donnent libéralement la parole aux accusés. Voulez-vous
la prendre?
NELSON MANDELA - "Certainement, et je le ferai pour vous dire que ce que
nous voulons avant tout, c'est l'égalité des droits civiques.
Voici quelque trente ans que vous avez instauré le régime de l'Apartheid.
Nous ne le supportons plus. Les Africains veulent recevoir un salaire qui leur
permette de vivre. Ils veulent exercer les professions dont ils sont capables
et non le travail pour lequel le gouvernement les déclare aptes. Ils
veulent être autorisés à travailler là où
ils trouvent du travail et ne pas être chassés de telle ou telle
région sous prétexte qu'ils n'y sont pas nés. Ils veulent
pouvoir posséder de la terre là où ils travaillent et ne
pas être obligés de vivre dans des maisons qui ne seront jamais
à eux. Les Africains veulent vivre comme les autres citoyens et ne pas
être enfermés dans des ghettos. Les hommes africains veulent que
leurs femmes et leurs enfants vivent là où ils travaillent et
ne pas être obligés de mener une existence artificielle dans des
foyers pour hommes. Les femmes africaines veulent vivre avec leurs maris et
ne pas rester comme des veuves dans les réserves. Les Africains veulent
pouvoir sortir après onze heures du soir et ne pas être enfermés
dans leur chambre, comme de petits enfants. Les Africains veulent un partage
équitable de l'Afrique du Sud. Ils veulent la sécurité
et une place dans la société. Et par-dessus tout ils veulent des
droits politiques égaux."
LE JUGE - Très bien... Avez-vous encore quelque chose à ajouter?
NELSON MANDELA - Oui. J'ajouterai que devant les violences quotidiennes qui
nous sont faites, individuellement ou, comme à Sharpeville, collectivement
– 79 morts et 178 blessés – nous n'avons pas d'autre choix,
moi et les miens, que de continuer à avoir recours à la violence.
LE JUGE - Monsieur Mandela, nous vous avons entendu... Pour toutes les transgressions
que vous et les vôtres avez commis et vous apprêtez à commettre,
nous devrions vous condamner à mort. Nous nous contentons cependant,
pour des raisons politiques, de vous condamner à l'emprisonnement à
vie.
4 - L'assassinat de Steve Biko
L'HISTORIEN DE SERVICE - Et, effectivement la lutte continua, ouverte, violente,
impitoyable. Au cours de laquelle Steve Biko, un des leaders des étudiants
noirs, se trouva particulièrement visé...
DONALD WOODS – Mais que fais-tu? On t'a interdit de parler...
STEVE BIKO - Comment veux-tu qu'on se taise... Donald Woods, tu es journaliste
et bien qu'anglais, tu devrais comprendre cela. Six cents gosses mitraillés
parce qu'ils ne veulent pas apprendre l'afrikaner! Non, on ne peut pas oublier
le massacre de Soweto.
DONALD WOODS - La massacre de Soweto... Tu as raison, mais, je t'en supplie,
Steve Biko, tiens-toi tranquille... Tu es le responsable de l'Organisation sud-africaine
des étudiants noirs et tu peux être sûr que la police te
surveille. Je ne comprends même pas que tu n'aies pas encore été
arrêté. Cela ne te suffit pas d'avoir été mis au
secret pendant trois mois. Ne tiens-tu pas à la vie?
STEVE BIKO - Il vaut mieux mourir pour une idée qui vivra que vivre pour
une idée destinée à mourir... Ceci dit, si, je tiens à
la vie, et je fais tout pour la conserver, mais tu ne m'empêcheras pas
de sillonner les provinces pour y ranimer la flamme de la révolte...
DONALD WOODS - Attention, les voilà...
LE POLICIER - Steve Biko, nous vous arrêtons....
DONALD WOODS - Attendez, attendez...
LE POLICIER - Vous, le journaliste, vous feriez mieux de vous taire. Allons,
Steve Biko, en route...
DONALD WOODS - Nous sommes le 18 aout 1977. Ils l'ont emmené à
Port-Elizabeth ou ils le frappent et le torturent cruellement... Puis, le 11
septembre, ils le jettent tout nu à l'arrière d'une camionnette.
Ils l'emmènent à Pretoria. Douze cents kilomètres d'une
route cahotante. En arrivant, il meurt, officiellement d'une grève de
la faim... Mais moi, Donald Woods, j'ai réussi à m'introduire
dans la morgue où son corps était déposé, je l'ai
photographié: il a reçu des coups violents sur la tête qui
n'ont rien à voir avec une grève de la faim... Maintenant, ma
vie est en danger. Je réussis à m'évader d'Afrique du Sud
déguisé en prêtre irlandais, ils essayent d'abattre l'avion
dans lequel je m'enfuis, j'arrive à Londres, j'écris un livre
sur Steve Biko et l'Afrique du Sud, je fais des conférences un peu partout...
Biko devint le symbole de la résistance noire à la férocité
blanche. Et, de fait, les nations découvrent la violence de la répression,
les commandos de la police secrète, les assassinats, les tortures...
lesquels ont provoqué des actions en retour et même aussi une lutte
sauvage entre les diverses factions des peuples persécutés. Années
de nuit, de fer, de feu, de douleur et de sang... Combien de victimes? Qui le
saura jamais? Certains disent que trois millions de personnes furent atteintes
d'une façon ou d'une autre. De toute façon, l'opinion internationale
est touchée. A la fin, le régime sud-africain est condamné,
mis au ban des nations et, à l'ONU, le conseil de sécurité
vote coup sur coup les Résolutions 417 et 418, imposant de sévères
embargos sur les produits à destination et en provenance d'Afrique du
Sud, en particulier sur les armes.
5 - Le président Frederik de Klerk libère Mandela
L'HISTORIEN DE SERVICE - Cela ne pouvait durer. En 1989, un nouveau président
d'Afrique du Sud, Frederik de Klerk succéda à l'intransigeant
Pieter Botha. Il sentit très vite qu'il fallait renverser la vapeur.
FREDERIK DE KLERK - Je n'ai pas de sympathie particulière pour toute
cette population de noirs et de métis... mais, avec la complicité
d'une partie des blancs, des blancs libéraux! je dois avouer qu'ils ont
réussi à créer une situation impossible. Notre économie
est ruinée, la fraude est générale, les capitaux nous fuient...
La rigidité d'esprit est mauvaise, je crois en la persuasion. Discutons.
Avec qui? Nous n'avons qu'un interlocuteur possible, c'est Mandela. Heureusement
que nous l'avons soigneusement mis au frais! Monsieur Mandela, vous êtres
libre...
NELSON MANDELA - Cela fait bien trente ans que j'attends, monsieur de Klerk...
FREDERIK DE KLERK - Pas tout à fait: vingt-sept ans et cent quatre-vingt-dix
jours...
NELSON MANDELA - En effet! Mais la seule chose qui compte vraiment c'est qu'aujourd'hui
j'ai 71 ans.
FREDERIK DE KLERK - Pardon, monsieur Mandela, pour cette longue attente. Mais
maintenant il faut venir à bout de ce gâchis!
NELSON MANDELA - Gâchis, vous pouvez le dire. Je suis prêt à
vous aider. Mais ne comptez pas sur une victoire facile. Aujourd'hui, vous m'avez
libéré, mais je n'ai toujours pas le droit de vote. Ne croyez
pas que nous allons signer bêtement la paix. La lutte continue... Je viens
de faire le tour du monde, j'ai convaincu les nations de la justesse de notre
cause. Oui, discutons, mais commencez par libérer les détenus
politiques et faites revenir les exilés.
FREDERIK DE KLERK - Monsieur Mandela, sachez que même les milieux économiques
plaident pour un changement radical. Ils sont étouffés. Etouffés
par les sanctions internationales et aussi parce qu'ils ne peuvent pas trouver
de main d'œuvre éduquée, ce qui est bien de notre faute,
à nous blancs. Je vous l'accorde, je libère les détenus,
je fais revenir les exilés. Préparons des élections libres.
NELSON MANDELA - Hélas! Maintenant que nous essayons de réparer
ces années de violence et de malheur, ce sont vos extrémistes
blancs qui sèment la mort. Ils haïssent le noir... Attentats sur
attentats...
FREDERIK DE KLERK - Et chez vous, même entre noirs, les règlements
de compte sont nombreux!
NELSON MANDELA - Je ne vous dirai pas le contraire.
FREDERIK DE KLERK – Mais je sais que de notre côté, entre
blancs, nous ne nous entendons pas. Ce qui provoque un bain de sang général.
NELSON MANDELA - Comme pour noyer le processus de paix! Mais comment réconcilier
avec elle-même une population si profondément divisée?
FREDERIK DE KLERK - De toute façon, monsieur Mandela, votre parti, l'A.N.C.,
le Congrès National Africain, remportera les élections prochaines
et en 1994, vous serez élu à la présidence de la République.
Voilà cinq ans que vous êtes libre, il faudra bien que vous trouviez
une solution!
6 – Les commissions Vérité et Réconciliation
NELSON MANDELA - Je suis bien embarrassé! Vous me laissez une situation
impossible... Si nous allions demander conseil à notre ami Desmond Tutu,
qui a reçu le prix Nobel de la paix? Un archevêque noir, ça
pourrait avoir des idées.
DESMOND TUTU - J'en ai... Cet immense bourbier de souffrances qu'est notre pauvre
Afrique du Sud, nous ne pouvons l'ensevelir dans l'oubli.
FREDERIK DE KLERK - Oui, tant de crimes qui ont été commis de
part et d'autre...
NELSON MANDELA - Il va bien falloir qu'ils soient jugés.
DESMOND TUTU - Ce n'est pas ce que je veux dire. Imaginez-vous une brochette
de juges noirs faisant comparaître ne serait-ce qu'un seul policier blanc,
de la même façon qu'à Nuremberg les alliés ont jugé
les nazis...?
NELSON MANDELA - Non, je ne l'imagine pas.
DESMOND TUTU - Et pouvez-vous imaginer pourtant qu'ils ne soient pas jugés...?
FREDERIK DE KLERK - Non plus, vous avez raison.
DESMOND TUTU - Alors, j'ai une solution... Ce peuple a besoin d'être réconcilié
avec lui-même. Tous ceux qui ont été touchés –
et ils sont tellement nombreux! – ne recherchent pas forcément
la vengeance. Ils veulent au moins dire, savoir... et qu'on dise, et qu'on sache!
Leurs malheurs, ils les ont vécus chacun dans leur coin, ils n'on pu
les confier à personne, personne n'en a été informé,
ils n'ont même pas osé se plaindre...
FREDERIK DE KLERK - Ne vaut-il pas mieux laisser tout cela, oublier, regarder
vers l'avant...?
DESMOND TUTU - Non, l'abcès doit être percé. Je propose
qu'en chaque ville du pays on organise des commissions spéciales chargées
de recueillir la vérité...
NELSON MANDELA - La vérité? Par exemple?
DESMOND TUTU - Par exemple...! Dans telle et telle condition, ma famille a été
massacrée, j'ai été torturé, j'ai été
violée, mon fils ou mon mari ou ma femme ont disparu sans qu'on sache
ce qui leur est arrivé, j'ai perdu la vue ou ma jambe ou mes deux mains
dans tel ou tel attentat... Il faut lever le couvercle, que chaque douleur soit
reconnue, inscrite dans l'histoire de la nation. Sans volonté de revanche...
Simplement, pouvoir parler pour pouvoir exister.
FREDERIK DE KLERK - Ne craignez-vous pas...?
DESMOND TUTU - Quant aux coupables... de quelque camp qu'ils soient... car il
y a eu des deux côtés des crimes inqualifiables... quand aux coupables,
s'il est prouvé qu'ils ont agi sans haine dans le cadre d'une mission
officielle, ils pourraient obtenir l'amnistie... Pourvu qu'ils la demandent
et reconnaissent leurs torts. Du haut au bas de l'échelle...
NELSON MANDELA - Et les autres?
DESMOND TUTU - Les autres... ceux qui ont agi de manière gratuitement
cruelle ou de leur propre initiative, les vrais criminels, les sadiques, qui
n'oseront pas demander l'amnistie... eh bien, nous n'avons pas supprimé
les tribunaux: ils seraient jugés pour ce qu'ils ont fait.
FREDERIK DE KLERK - Et c'est une opération qui durerait combien de temps?
DESMOND TUTU - Je ne sais pas... Si nous voulons la mener prudemment et justement...
trois ou quatre ans.
NELSON MANDELA - Cela fait beaucoup.
DESMOND TUTU - Si vous considérez les trois cents ans de souffrances
que nous nous sommes infligés les uns aux autres, cela n'est rien. Nous
appellerions ces commissions: Commissions Vérité et Réconciliation.
FREDERIK DE KLERK - Commissions Vérité et Réconciliation...
Pourquoi pas? Qu'en pensez-vous, monsieur Mandela?
NELSON MANDELA - C'est une porte ouverte... Nous n'en avons guère d'autre.
7 - Conclusion
L'HISTORIEN DE SERVICE - Effectivement, les commissions Vérité
et Réconciliations fonctionnèrent pendant quatre ans, de 1995
à 1999... Environ 46 000 cas de violences commises 1960 et 1994 furent
examinés. Il y eut 7 112 demandes d'amnisties de la part des auteurs
de violences, dont seulement 840 furent accordées. Cette démarche,
diversement appréciée, il faut le dire, joua un rôle important
dans le lent renouveau du pays, auquel se consacra le nouveau président,
Nelson Mandela.
RAPPEL HISTORIQUE.
1487 – Le Portugais Bartolomeo Dias double le cap de Bonne-Espérance.
1652 – Installation au Cap des premiers colons hollandais et allemands.
1688 – Arrivée de 200 huguenots français.
1806 – Les Anglais occupent le Cap pour éviter que Napoléon
ne s'en empare.
1816 – Les droits des Anglais sont confirmés par le congrès
de Vienne.
1833 – Abolition de l'esclavage par les Anglais. Nombreuses petites exploitations
ruinées.
1833 – Début du grand Trek... Les Boers (les premiers colons) s'en
vont vers le nord.
1838 – Victoire des Boers sur les Zoulous à Blood River.
1852 – Les Anglais reconnaissent les états boers d'Orange et du
Transvaal.
1860 – Arrivée des premiers travailleurs indiens dans la région
de Durban.
1867 – Découverte de diamants à Kimberley.
1881 – Fondation de la "de Beers" (société spécialisée
dans le diamant) par Cecil Rhodes.
1886 – Découverte de l'or de Johannesburg.
1899 – 1902 – Guerre et victoire des Anglais contre les Boers.
1910 – Londres proclame l'Union sud-africaine.
1910 – Le "Native Land Act" limite à 7% du territoire
les propriétés des noirs.
1912 – Fondation de l'A.N.C. (Congrès national africain), mouvement
noir non violent.
1914 et 1940 – l'Afrique du Sud anglaise participe aux deux guerres mondiales.
1948 – Début des dispositions de l'Apartheid... (voir plus haut)
1950 – L'A.N.C. accentue sa résistance.
1960 – Emeutes de Sharpeville (70 morts).
1960 – Indépendance de l'Afrique du Sud.
1964 – Mandela condamné à la prison à vie.
1976 – Emeutes de Soweto (600 morts).
1977 – Mort de Steve Biko, responsable des étudiants noirs africains.
1980 – L'armée intervient contre les manifestants. Réaction
internationale contre l'Apartheid.
1984 – Desmond Tutu, évêque protestant du Cap, reçoit
le prix Nobel de la Paix.
1989 – Frederik de Klerk est élu président.
1990 – Libération de Nelson Mandela. S'ensuit une période
troublée...
1994 – Premières élections multiraciales. Nelson Mandela
est élu président.
1996 – Une constitution est adoptée. Départ des commissions
Vérité et Réconciliation.
2000 – Elections municipales. L'A.N.C. remporte la majorité des
villes.