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Déposé à la SACD


SCHEHERAZADE

Par Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )


PERSONNAGES
Schéhérazade, le Sultan, le grand Vizir, la sœur de Schéhérazade, le bourreau.

1 – (à la cour du Sultan)
LE SULTAN - C'en est trop, je me sens venir une haine terrible des femmes.
LE GRAND VIZIR - Votre Majesté… Quelle est la cause de votre colère?
LE SULTAN - La cause de ma colère, grand Vizir? Toi qui sais tout de ce qui se passe à ma cour, n'as-tu point entendu parler de ce qui vient d'arriver?
LE GRAND VIZIR - J'entends beaucoup de choses… Quoi donc?
LE SULTAN - Ce matin je suis parti pour la chasse… A deux jours de la capitale, il y a beaucoup de cerfs à forcer.
LE GRAND VIZIR - En effet…
LE SULTAN - Mais, à peine parti, je constatai que j'avais oublié mon mouchoir brodé. Je rentre en toute hâte et par la fenêtre j'aperçois dans les jardins du palais la reine et ses femmes se livrant à la débauche avec des esclaves.
LE GRAND VIZIR - Ce n'est pas possible, je l'aurais su!
LE SULTAN - Je l'ai vu… Me contredirais-tu? Je lui ai immédiatement coupé la tête, je veux dire à la reine. Ainsi qu'à ses femmes et à ses esclaves.
LE GRAND VIZIR - Vous avez… (longue attente) incontestablement bien fait, Majesté.
LE SULTAN - Merci. J'étais sûr que tu m'approuverais. Mais je ne veux plus que désormais le Sultan puisse être trompé et pour cela j'ai résolu qu'à peine aurait-il pris femme et sitôt passée la nuit où il l'aurait aimée, il lui ferait immédiatement couper la tête. Au lever du soleil. Tu me trouveras bien, chaque jour que fait Allah, une femme nouvelle?
LE GRAND VIZIR - Vivrez-vous longtemps?
LE SULTAN - J'en ai bien l'intention.
LE GRAND VIZIR - Cela fera beaucoup de femmes, beaucoup de femmes… Et naturellement, toutes plus belles que le jour! Evidemment… Je ne sais pas si…
LE SULTAN - Je ne m'attendais pas à ce que tu chipotes de cette façon-là. De toute façon, tu en feras ton affaire. Les femmes grouillent dans le royaume. Et je compte bien commencer dès ce soir.
LE GRAND VIZIR - Bien, Majesté.

2 – (quelques jours après, chez le grand Vizir)
SCHEHERAZADE - Est-ce vrai, ce que l'on dit, mon père, que chaque matin le Sultan fait couper la tête à la femme qu'il a épousée la veille?
LE GRAND VIZIR - Oui. Au lever du soleil, car le Sultan aime aller de bonne heure à son travail. Une par jour, cela fait beaucoup de complications administratives. Et je ne te parle même pas du problème d'avoir chaque jour à le remarier, avec toutes les cérémonies que cela entraîne. Ce qui évidemment ne m'empêche pas d'être indigné d'une si horrible injustice. Mais de par ma fonction, je dois au Sultan une totale obéissance.
SCHEHERAZADE - Mon père, jusqu'à ce jour de combien de malheureuses femmes avez-vous ainsi scellé le destin?
LE GRAND VIZIR - Ne m'oblige pas à les compter… Chaque jour je m'efforce d'oublier… Mais sois tranquille, tu es, Schéhérazade, une fille si merveilleuse, si douce, si cultivée, si ravissante que, dussé-je en perdre la vie, jamais je ne t'offrirai au Sultan.
SCHEHERAZADE - Mon père, j'ai au contraire une grâce à vous demander…
LE GRAND VIZIR - Si elle est raisonnable, je ne te la refuserai pas.
SCHEHERAZADE - Je veux mettre fin à cette barbarie et faire cesser la tyrannie que le Sultan exerce sur les familles de cette ville…
LE GRAND VIZIR - Et comment prétends-tu en venir à bout?
SCHEHERAZADE - Je vous conjure, mon père, par la tendre affection que vous avez pour moi, de me procurer l'honneur d'épouser le Sultan.
LE GRAND VIZIR - O Dieu! Songes-tu bien à ce que tu me demandes?
SCHEHERAZADE - Ne m'avez-vous pas dit que j'étais la fille, la plus cultivée, la plus intelligente, la plus audacieuse… etc. etc. je ne me souviens plus bien… qu'il y ait dans cet Etat?
LE GRAND VIZIR - Je ne l'ai peut-être pas dit exactement de cette façon. Mais évidemment, je le pensais.
SCHEHERAZADE - Eh bien, père, si je suis réellement telle, accordez-moi votre confiance…
LE GRAND VIZIR - Mais comment veux-tu que je prenne le risque d'avoir à ordonner au bourreau de couper ton cou si gracieux. Je ne m'en remettrais pas!
SCHEHERAZADE - Vous n'aurez pas à le faire, car je sais un moyen infaillible d'échapper moi-même à ce triste destin et d'y faire échapper des multitudes de malheureuses… Donc, mon père, ce soir je compte que vous aurez accédé à ma demande.

3 – (dans l'antichambre du Sultan, le soir)
SCHEHERAZADE - Ma chère sœur, j'ai obtenu du Sultan, pour ne pas être séparée de vous pendant ce qu'il imagine devoir être ma dernière nuit, que vous couchiez ici, près de notre chambre sur ce petit lit, à portée de la voix.
LA SŒUR DE SCHEHERAZADE - Et que devrai-je faire?
SCHEHERAZADE - Simplement guetter le lever du soleil et peu de temps avant qu'il apparaisse m'appeler et me dire: "Ma chère sœur, si vous ne dormez plus, racontez-moi donc pour la dernière fois un de vos si merveilleux contes…" Vous m'avez comprise?
LA SŒUR DE SCHEHERAZADE - Parfaitement.
SCHEHERAZADE - Très bien. Moi je vais retrouver le Sultan. (sort)
LA SŒUR DE SCHEHERAZADE - (se couche)

4 – (même endroit, peu avant le lever du jour)
SCHEHERAZADE - (passant la tête et chuchotant) Eh bien, c'est le moment…
LA SŒUR DE SCHEHERAZADE - (se réveillant) Oui, Pardon! "Ma chère sœur, si vous ne dormez plus, racontez-moi donc pour la dernière fois un de vos si merveilleux contes…"
SCHEHERAZADE - Vous faites bien de m'appeler… Je dormais si profondément. Mais bien sûr! Voulez-vous l'histoire du marchand et du génie?
LA SŒUR DE SCHEHERAZADE - Je l'écouterais avec plaisir.
SCHEHERAZADE - "Il était une fois un marchand qui possédait de grands biens, aussi bien en terres qu'en marchandises et en argent…"
LE SULTAN - (entrant) Qu'est ce que vous êtes en train de raconter?
SCHEHERAZADE - C'est un conte, Majesté, que ma sœur m'a demandé… Puis-je continuer?
LE SULTAN - Mais bien sûr. Je vous écouterais volontiers une dernière fois, vous qui m'avez donné une si excellente nuit.
SCHEHERAZADE - "Donc, il était une fois un marchand qui possédait de grands biens, aussi bien en terres qu'en marchandises et en argent… Or ce marchand, étant parti en voyage, comme sa profession l'y obligeait, s'arrêta auprès d'une source pour se rafraîchir… (Elle mime en silence pendant quelques secondes – 10 à 20 selon l'inspiration - la suite improvisée de l'histoire… puis reprend la parole)… Quoi, demanda le marchand au génie, vous voulez absolument ôter la vie à un pauvre innocent…?"
LE BOURREAU – (entrant avec son grand sabre) Majesté, je suis le bourreau, le soleil vient de se lever et je dois couper la tête de madame.
LE SULTAN - Qui t'as donné cet ordre stupide?… Ah oui, j'avais oublié!… Eh bien non, tu la laisseras vivre jusqu'à demain pour que je puisse entendre la suite de l'histoire qu'elle a entrepris de me raconter.
LE BOURREAU – Bien, Majesté. (il sort)
LA SŒUR DE SCHEHERAZADE - (prenant le rôle d'un narrateur) Vint le matin suivant: Schéhérazade termina l'histoire du marchand et du génie et elle eut même le temps de commencer l'histoire du mari et du perroquet…
LE BOURREAU – (entrant) Majesté, je suis le bourreau, le soleil se lève et je dois couper la tête de madame.
LE SULTAN - Va, laisse-nous… il y a encore une histoire en route. (le bourreau sort)
LA SŒUR DE SCHEHERAZADE - Puis elle raconta l'histoire des cinq dames de Bagdad, puis l'histoire du petit bossu, puis l'histoire de Nourredim Alli, puis l'histoire du marchand chrétien… Et chaque matin…
LE BOURREAU - Majesté, je suis le bourreau, le soleil se lève et je dois couper la tête de madame.
LE SULTAN - Va, laisse-nous… (le bourreau sort)
LA SŒUR DE SCHEHERAZADE - Si bien qu'à la fin, lorsque Schéhérazade eut raconté mille et une histoires, ce qui fait presque trois ans…
LE BOURREAU - Majesté, je suis le bourreau, le soleil se lève et je dois couper la tête de madame…
LA SŒUR DE SCHEHERAZADE - Le Sultan lui répondit que c'était fini, qu'il pouvait aller prendre sa retraite, que lui, le Sultan, était réellement amoureux de Schéhérazade et qu'il la considérait maintenant comme sa femme pour la vie. Il l'avait dit, pour la vie… Cela arriva tout à point, car Schéhérazade n'avait plus vraiment d'histoires nouvelles à raconter, ou celles qu'elle aurait pu inventer n'auraient pas eu le piquant des précédentes. D'autre part le Sultan, qui vieillissait, était un peu fatigué d'avoir à se réveiller le matin de si bonne heure pour entendre ces histoires fantastiques. Le grand Vizir vint les bénir (il rentre et il les bénit). Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. (Ils saluent tous)