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Déposé à la SACD

Déposé à la SACD


LE MARIAGE DE LOUIS XIV

Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )

PERSONNAGES
Louis XIV, Marie Mancini, Mazarin, l'Infante d'Espagne


1 -
LE CARDINAL MAZARIN - J'ai à vous raconter aujourd'hui une histoire très belle et très triste. Ecoutez bien, c'est une histoire d'amour… Oh, mais les voilà déjà, mes amoureux… Je veux voir ce qui va se passer! (il s'éclipse)
LOUIS XIV – Ô Marie, mon amour, que j'ai souffert de votre absence. Sans vous je ne vis plus et tous les billets que nous échangeons ne sont rien à côté du plaisir de baiser cette petite main. (il met un genou à terre)
MARIE MANCINI - Comment, Louis, moi aussi je suis très amoureuse et voilà trois jours que j'attends!
LOUIS XIV - Je vous ai apporté ces quelques roses, pour me faire pardonner.
MARIE MANCINI - Elles sont très belles. Faites voir… Oui, vraiment très belles! Mais cela ne suffit pas.
LOUIS XIV - Cela ne suffit pas! …En attendant, puis-je me relever?
MARIE MANCINI - Pas encore, Louis, ce sera votre pénitence pour m'avoir fait attendre si longtemps.
LOUIS XIV - Je vous en prie…
MARIE MANCINI - En tout cas pas avant que vous m'ayez promis définitivement de m'épouser.
LOUIS XIV - Je ferai tout ce que je peux pour cela.
MARIE MANCINI - Cela ne me satisfait pas.
LOUIS XIV – Bien. Si vous y tenez, je vous le promets.
MARIE MANCINI - Alors, vous pouvez vous relever. J'ai votre promesse.
LOUIS XIV - Et puis-je vous embrasser tout de bon, cette fois?
MARIE MANCINI - Certainement pas, Louis, pas encore. Heureusement que je suis raisonnable pour deux!
LOUIS XIV - Oh que je voudrais vous tenir une bonne fois dans mes bras.
MARIE MANCINI - Mon Dieu, je le voudrais tellement moi aussi, mais…
LOUIS XIV - Vous êtes ma vie, ma joie, mes délices, mon bonheur.
MARIE MANCINI - Mais que dirait mon oncle, le cardinal?
LOUIS XIV - Votre oncle, votre oncle…

2 –
LE CARDINAL MAZARIN – (revenant) L'oncle, c'est moi… Ils sont arrivés tellement brusquement que je n'ai pas eu le temps de vous expliquer la situation. Ce jeune garçon, c'est Louis XIV, le roi de France. Cette jeune fille, c'est Marie Mancini, ma nièce. Et moi, le cardinal Mazarin, je suis le Premier ministre du roi… Mais que je vous donne quelques détails supplémentaires. (à Louis) Louis, je vous prie de venir ici.
LOUIS XIV - Me voici, monsieur le cardinal.
LE CARDINAL MAZARIN - (au public) Je le traite un peu familièrement, car je suis son parrain. Voici donc le roi de France, il a vingt-deux ans, il est jeune, il est beau, il est spirituel. Il est aussi tout gonflé d'amour et il voudrait bien se marier… A son âge on comprend que ça commence à le démanger. (à Marie) Marie, venez ici.
MARIE MANCINI - Me voici, mon oncle.
LE CARDINAL MAZARIN - (au public) Et, tout naturellement donc, il s'est entiché d'une des plus belles filles de la cour, fine avec cela et spirituelle et cultivée. Je ne dis pas cela parce que c'est ma nièce, mais… Sale caractère en plus, mais c'est une autre affaire! Ils se donnent des petits rendez-vous, ils s'envoient des petits billets galants, ils se baisotent probablement dans les coins. Malheureusement…

3 -
LOUIS XIV - Je suis le roi. Je fais ce que je veux. Qu'avez-vous à redire à cela, monsieur le cardinal? D'ailleurs n'est-ce pas votre nièce que je courtise et n'en êtes-vous pas fier?
LE CARDINAL MAZARIN - J'en suis infiniment honoré. Malheureusement…
LOUIS XIV - Malheureusement… C'est une obsession! Malheureusement, quoi?
LE CARDINAL MAZARIN – Malheureusement, cela n'est pas possible. Je n'avais pas pris garde à cet attachement lorsqu'il a commencé, sans quoi j'y aurais porté bon ordre depuis longtemps. Mais ne savez-vous pas, mademoiselle ma nièce, que…
MARIE MANCNI - Je sais parfaitement, monsieur mon oncle, que, bien que votre nièce, ce qui à tout prendre est honorable, que donc je suis née en Italie d'une famille modeste et qu'en aucun cas, selon vos préjugés, je ne peux prétendre à épouser le roi de France.
LE CARDINAL MAZARIN - C'est bien ce que je m'apprêtais à vous dire.
MARIE MANCINI - Vous voyez que je connais tout de vos mesquines pensées.
LE CARDINAL MAZARIN - Et je vois aussi que vous ne vous souciez pas le moins du monde de vous y conformer.
MARIE MANCINI - Je ne suis pas obéissante pas nature. Je n'y peux rien, c'est Dieu, mon maître qui m'a faite ainsi. Et comme le roi, votre maître, peut ce qu'il veut et qu'il veut m'épouser…
LE CARDINAL MAZARIN - Tous les soins que j'ai pris à votre éducation sont-ils perdus?
MARIE MANCINI – C'est bien triste pour vous qui êtes si avare et qui n'aimez pas perdre…
LE CARDINAL MAZARIN - (au public) Je vous disais bien qu'elle était insolente. Mais comme elle est aussi intelligente que je suis avare, elle va tout de suite comprendre.

4 –
LE CARDINAL MAZARIN - (à Louis) Louis, les rois ne se marient pas par amour, ils se marient pour agrandir leur royaume. Ils n'épousent que de riches princesses, elles-mêmes filles de rois, qui leur apportent en dot des provinces nouvelles.
LOUIS XIV - Cela est bien. Mais si les dites princesses ne sont pas aimables?
LE CARDINAL MAZARIN - Il y a tant d'autres avantages à être roi, qu'il faut bien qu'il y ait quelques inconvénients.
LOUIS XIV - C'est un inconvénient qui pourrait m'indisposer. Et qui me proposez-vous?
LE CARDINAL MAZARIN - Mais vous le savez déjà: l'infante d'Espagne. La voici!
L'INFANTE D'ESPAGNE - (apparaissant dans une tenue très espagnole) Aqui estoy!
LE CARDINAL MAZARIN - Navré, elle ne parle pas le français! Depuis des générations il y a la guerre entre la France et l'Espagne: ce mariage aurait l'avantage de faire cesser la guerre et il nous apporterait quelques provinces, dont nous avons déjà établi le détail… Bref, des terres au sud, des terres au nord, des terres à l'est. De quoi arrondir votre beau royaume.
LOUIS XIV - Ah, ah! Beaucoup de provinces donc. Et la paix. Cela me paraît décisif, quoique j'aime aussi beaucoup la guerre. Mais laissez-moi regarder la fille (Louis tourne autour de l'infante et l'inspecte longuement) Allons, cela pourrait se faire.
LE CARDINAL MAZARIN - Cela se fera donc: le roi se doit à son pays.
LOUIS XIV - Fort bien… Quand il s'agit de ma gloire, je comprends très vite. Marie, je suis navré…

5 –
MARIE MANCINI - Le roi manquerait-il à sa promesse?
LE CARDINAL MAZARIN - Il ne manquera pas à sa promesse, car vous, vous l'en délierez.
MARIE MANCINI - Cela ne sera pas.
LE CARDINAL MAZARIN - Cela sera. Allons, allons, petite effrontée (avec un geste impérieux) Cela vient d'être! Le roi est délié de sa promesse.
MARIE MANCINI - (comme suffoquée) Ah…
LOUIS XIV - Je vous remercie, Marie, d'avoir si bien compris la situation. Je vous ai beaucoup aimée et vous me laisserez un grand regret.
MARIE MANCINI - Sire, mon roi (elle se met à genoux), je vous en supplie, comment pourrais-je vivre sans vous. J'en perdrais le boire et le manger. Ne me laissez pas ainsi.
LOUIS XIV - Vous me faites de la peine, Marie. Ne me rendez pas la chose plus difficile. Ah, si seulement vous aviez eu des provinces!
MARIE MANCINI - Je vous le promets, je ne serai plus insolente, je ferai tout ce que vous me demanderez…
LOUIS XIV - Eh bien, madame, puisqu'il en est ainsi, je vous demande de cesser de me supplier. Et tournez-vous vers votre oncle qui, j'en suis sûr, vous trouvera un bon mari. Nous y veillerons. Adieu. (le roi sort en tenant l'infante par la main)
LE CARDINAL MAZARIN - (au public) J'en ai les larmes aux yeux. Mais il faut toujours obéir aux rois, même quand ce sont les ministres qui décident. Vous voyez que c'était une histoire très belle et très triste. (à Marie) Relevez-vous, ma nièce et mouchez-vous. Nous allons tout de suite nous occuper de vous.


RAPPEL HISTORIQUE

Mariage de Louis XIV
Les mariages des princes ne sont pas une mince affaire. Naturellement, le conjoint doit être trouvé dans une famille de rang égal à celui qui veut se marier. Un roi cherchera une fiancée dans une famille royale: et comme, par définition, il n'y a dans chaque pays qu'une famille royale, il faudra le plus souvent qu'on importe une reine d'un pays voisin. Et la plupart du temps, la distance empêchera que les fiancés puissent se rencontrer avant les noces. Qu'importe: des deux côtés on fera faire des portraits et les fiançailles se feront... sur catalogue. Mais les peintres qui ont représenté les intéressés ont-ils été bien fidèles? Probablement pas... Parfois même, les noces seront célébrées dans le pays du fiancé où la fiancée, in absentia, sera représentée par l'ambassadeur de son pays... Ou l'inverse. Ce qui est un mariage par procuration! Et, comme c'est toujours la reine qui de toute façon vient habiter chez le roi, quelle épreuve pour la nouvelle épousée que de se trouver tout à coup transplantée dans un pays dont peut-être elle ne connait ni les mœurs ni la langue... et où il n'est pas toujours sûr qu'elle soit bien accueillie! Et pourtant, dans une cour tumultueuse et au milieu des maitresses de son mari, c'est elle qui est destinée à porter les enfants légitimes. Et donc à assurer la succession.
Mais ce qui est encore le plus important, c'est la dot. L'obsession d'un prince est de s'enrichir. Or, il n'y a que deux façons pour un prince de s'enrichir: la guerre ou le mariage! La guerre est souvent préférée, mais le mariage n'est pas négligé. Vite, vite, une dot, de l'or ou des provinces! Cela, plus que l'éloignement, réduisait considérablement le nombre de fiancées possibles. Et on peut s'imaginer quelle est l'impossible mission dont les ministres et les ambassadeurs étaient chargés... Marier le Roi! Et cela dans un monde où les communications sont longues, pénibles et difficiles.
Lorsqu'un roi épouse une femme de moindre extraction, ce qui arrive mais n'est pas bien vu, il le fait généralement secrètement. Cela s'appelle un mariage morganatique. C'est ce qui se passa lorsque Louis XIV, après la mort de la reine Marie-Thérèse, épousa madame de Maintenon, qui, bien que femme d'un roi, ne fut jamais reine.
Bien que le traité des Pyrénées (1659) ait fait subir de profondes modifications aux frontières de la France, de l'Espagne et des Pays-Bas, le mariage de l'infante Marie-Thérèse d'Espagne avec Louis XIV apporta quelques nouvelles "provinces" à la France. Mais surtout, comme les Espagnols ne voulaient pas que l'infante Marie-Thérèse, devenue reine de France, puisse, elle ou ses enfants, régner aussi un jour sur l'Espagne, il fut décidé que Marie-Thérèse renoncerait à tout droit à la couronne d'Espagne contre le paiement d'une dot des 500 000 écus d'or. Cette dot n'ayant jamais été complétement versée, Louis XIV en prit plus tard prétexte pour que son petit-fils Philippe, duc d'Anjou, soit proclamé roi d'Espagne. Ce que les puissances européennes n'acceptèrent pas. La terrible guerre de succession d'Espagne qui s'en suivit (1701-1713) pesa très lourd sur la France et assombrit la fin du règne du Roi-Soleil...