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Déposé la SACD


LA PRISE DE LA BASTILLE

Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )

PERSONNAGES
L'historien de service, l'ouvrier, la femme de l'ouvrier, le vieux sergent, le capitaine suisse,
le marquis de Launay, Camille Desmoulins, un artisan ébéniste, un bourgeois de Paris, son fils,
le révolutionnaire Thuriot, M. Bailly, La Fayette, le roi Louis XVI.


1 – Misère du peuple
L'HISTORIEN DE SERVICE - Nous sommes en 1789… La Révolution va éclater. A Versailles les Etats généraux ont été déclarés Assemblée nationale. Alors que leurs députés sont exposés aux pressions traditionalistes de la monarchie, les Parisiens se révoltent et prennent la Bastille, le 14 juillet 1789… Pour commencer notre histoire, nous entrons dans la demeure d'un couple d'ouvriers. Le mari rentre du travail et montre à sa femme la paye du jour…
L'OUVRIER - Tiens, voilà tout ce que l'on m'a donné aujourd'hui.
LA FEMME DE L'OUVRIER - Vingt-deux sous!
L'OUVRIER - Oui, pour une journée de travail de quatorze heures.
LA FEMME DE L'OUVRIER - Mon pauvre homme, comme quoi, on a beau faire la grève…
L'OUVRIER - On s'est fait posséder! Quatorze heures de travail et vingt-deux sous en tout et pour tout. Ça fait combien l'heure. Vingt-deux divisé par quatorze… C'est trop compliqué!
LA FEMME DE L'OUVRIER - Avec quoi allons-nous vivre? Le pain de quatre livres – il nous en faut un par jour – je l'ai payé hier quinze sous au lieu de huit…
L'OUVRIER - Et encore tu as eu bien de la chance d'en trouver!
LA FEMME DE L'OUVRIER - Mon Dieu, qu'est-ce que nous allons devenir? On dit que les seigneurs empêchent la farine de rentrer dans Paris… Ils auraient décidé de nous affamer!
L'OUVRIER - Oui, j'ai entendu parler de ça. C'est pour ça que les prix montent.
LA FEMME DE L'OUVRIER - Il y a déjà tant de chômeurs et de miséreux… Quand je pense à tous les carrosses où se trimbalent tous ces beaux messieurs et toutes ces belles dames!
L'OUVRIER - Ne t'inquiète pas, ils mangent de la brioche, eux… Et tu sais ce que m'a dit le patron?
LA FEMME DE L'OUVRIER - Celui-là, je m'en méfie!
L'OUVRIER - Il m'a dit que la seule solution à la crise, c'était de diminuer encore les salaires… que ça ferait baisser le prix du pain.
LA FEMME DE L'OUVRIER - Ils se ressemblent tous! Il faudra qu'on aille sérieusement s'occuper de toute cette affaire.
L'OUVRIER - Sûr que notre bon roi ne sait pas tout ça. S'il le savait, il ferait quelque chose.
LA FEMME DE L'OUVRIER - Moi, je crois qu'il ne ferait rien du tout. Il n'y a que nous qui pouvons faire quelque chose pour nous-mêmes.

2 – La Bastille se prépare aux troubles
L'HISTORIEN DE SERVICE - Nous sommes maintenant dans le château de la Bastille, qui est une prison d'Etat. Le marquis de Launay, qui en est le gouverneur, discute avec un vieux sergent boiteux et un jeune capitaine suisse…
LE VIEUX SERGENT - Monsieur le gouverneur, ce sont les Suisses qui arrivent…
LE CAPITAINE DES SUISSES – (se présentant) Capitaine Deflue, du régiment suisse de Sa Majesté, le roi de France.
LE MARQUIS DE LAUNAY - Soyez le bienvenu. Votre renfort sera précieux. Ici, à la Bastille, je n'ai en temps habituel que quatre-vingt vieux soldats plus ou moins invalides… Ils ne sont pas très combatifs!
LE VIEUX SERGENT - Saperlipopette! Tout invalide qu'on soit, je ne vois pas bien contre qui il faudrait qu'on se batte. On n'est pas en guerre, tout de même!
LE MARQUIS DE LAUNAY - Sergent, silence… Vous ne sentez pas que le peuple est en train de se soulever?
LE VIEUX SERGENT - Se soulever, se soulever… Est-ce que vous croyez, monsieur le marquis, que le peuple pourrait avoir l'idée d'attaquer la Bastille?
LE MARQUIS DE LAUNAY - En tout cas, moi, je prends toutes les dispositions nécessaires. Combien d'hommes m'amenez-vous, capitaine?
LE CAPITAINE DES SUISSES - Trente-deux, tous jeunes et bien entraînés.
LE MARQUIS DE LAUNAY - Très bien… Mais l'important pour moi n'est pas qu'ils soient jeunes et bien entraînés, mais qu'ils soient suisses.
LE CAPITAINE DES SUISSES - Merci, monsieur le gouverneur. Je suis flatté…
LE MARQUIS DE LAUNAY - Non, non… Je veux simplement dire qu'en tant qu'étrangers, ils n'iront pas pactiser avec la populace. Mes vieux invalides sont connus dans le quartier et ils y connaissent tout le monde. En cas d'attaque…
LE CAPITAINE DES SUISSES - Je comprends… A votre service, monsieur le gouverneur. L'ordre, c'est l'ordre. Les Suisses obéissent toujours aux ordres.
LE MARQUIS DE LAUNAY - Parfait! Sergent, vous les ferez loger dans les cellules inoccupées… Nous n'avons pas beaucoup de prisonniers pour le moment.
LE VIEUX SERGENT - Bien, monsieur le gouverneur… La peste soit de ces Suisses!
LE MARQUIS DE LAUNAY - Merci, sergent (le sergent sort) Je vous fais visiter… Nous voici au sommet de la plus haute tour. D'ici, vous voyez tout Paris.
LE CAPITAINE DES SUISSES - Quelle vue! La Seine, Notre-Dame, le Louvre… Et en bas toute cette population qui s'affaire. On dirait des fourmis.
LE MARQUIS DE LAUNAY - Je me méfie de ces fourmis.
LE CAPITAINE DES SUISSES - Mais… que craignez-vous? Cette énorme forteresse avec ses huit tours… Et en hauteur, octante pieds, peut-être nonante…?
LE MARQUIS DE LAUNAY - Cent, cher monsieur… cent pieds de haut!
LE CAPITAINE DES SUISSES - Comme un énorme éléphant à huit pattes couché sur le dos au milieu de la ville… et avec son enceinte et son double pont-levis. Imprenable!
LE MARQUIS DE LAUNAY - On ne saurait être trop prudent, on ne sait jamais. Venez, redescendons… J'ai du travail pour vos hommes: on va nous livrer deux cent cinquante barils de poudre… toute la provision de Paris! Pour la mettre à l'abri.
LE CAPITAINE DES SUISSES - Je comprends: c'est en réalité cela qu'il faut défendre.
LE MARQUIS DE LAUNAY - Pas seulement, pas seulement… Mais avant de la défendre, il faut la réceptionner et la stocker dans nos sous-sols. Vos Suisses sont plus solides que mes invalides pour manipuler ces gros tonneaux.
LE CAPITAINE DES SUISSES - Mais certainement, monsieur le gouverneur?
LE MARQUIS DE LAUNAY - Merci… Allez-y!

3 – Le soulèvement
L'HISTORIEN DE SERVICE - La scène se passe maintenant dans les jardins du Palais-Royal. Il y a là Camille Desmoulins, un jeune avocat exalté, un bourgeois de Paris avec son fils, un artisan ébéniste du faubourg Saint-Antoine et la femme de l'ouvrier dont nous avons fait la connaissance tout à l'heure, puis l'ouvrier lui-même…
CAMILLE DESMOULINS - (parlant aux Parisiens du haut d'une chaise) Le roi se prépare à un coup de force contre les Parisiens. Il a réuni ses régiments étrangers autour de la capitale et il va nous attaquer. Mais nous ne voulons pas devenir esclaves, il nous faut des armes!
LA FEMME DE L'OUVRIER - Il y en a à l'Hôtel de ville…
L'ARTISAN EBENISTE - Nous les avons déjà prises, mais cela ne suffit pas.
UN MARCHAND - Moi, je vous le dis, il faut aller aux Invalides. C'est là que l'armée a entreposé ses fusils et ses canons.
LA FEMME DE L'OUVRIER - Eh, bourgeois, tu n'en sais rien…
UN MARCHAND - On me l'a dit pourtant, j'ai mes renseignements.
L'ARTISAN EBENISTE - Alors, allons-y, nous verrons bien. Nous ne pouvons rien faire si nous ne sommes pas armés.
CAMILLE DESMOULINS - Allons-y, allons-y… Courage!
L'OUVRIER - (entrant) Non, n'y allez pas… Ça y est, nous avons forcé les Invalides et nous avons distribué trente mille fusils à la population de Paris?
LA FEMME DE L'OUVRIER - Tu as mangé du lion, mon homme!
TOUS – Hourra, hourra…
L'OUVRIER - Mais si nous avons les fusils, nous n'avons pas la poudre ni les balles.
TOUS – (murmures de mécontentement)
L'ARTISAN EBENISTE - Les balles nous saurions les fondre, avec du plomb, mais la poudre…
CAMILLE DESMOULINS - Mes amis, savez-vous où est la poudre?
LA FEMME DE L'OUVRIER - Dites-le nous vite…
CAMILLE DESMOULINS - Elle est à la Bastille… Ils l'ont fait porter là-bas pour la mettre à l'abri.
TOUS - Nous ne pourrons jamais prendre la Bastille!
L'OUVRIER - Mais si, car en plus des fusils, nous avons récupéré aux Invalides des canons… Et mieux encore, les régiments des Gardes françaises ont rejoint le peuple et sont venus se mettre au service de la Nation.
LA FEMME DE L'ONVRIER – Alors, si c'est ça!
TOUS - Vite, à la Bastille.

4 – Un père explique à son fils ce qui se passe
L'HISTORIEN DE SERVICE - Cependant qu'une partie de la population s'interroge sur ce qui se passe… voici un bon bourgeois et son dadais de fils qui se promènent dans les jardins du Palais-Royal…
LE BOURGEOIS - Savez-vous ce que c'est que la Bastille, mon fils?
LE FILS - Non, mon père.
LE BOURGEOIS - Une prison! Une prison dans laquelle les rois faisaient autrefois enfermer sans jugement ceux qui leur déplaisaient. Mais il faut bien avouer qu'aujourd'hui, le roi Louis XVI n'est pas très porté sur la prison. C'est un homme faible, mais bon. Et il n'y a actuellement que sept prisonniers à la Batille. Chut, je ne suis pas censé le savoir.
LE FILS - Sept, cela ne fait pas beaucoup!
LE BOURGEOIS - En effet: quatre faux-monnayeurs, deux fous plus un jeune écervelé sans importance. Ce qui fait qu'en tant que prison, notre pauvre Bastille est tombée bien bas. Et il est même prévu, à plus ou moins brève échéance, de la démolir. On ferait un jardin à la place.
LE FILS - Ce serait une bonne idée, mon père. Les Parisiens iraient y jouer le dimanche. Le roi en serait probablement content. On ferait voguer des petits bateaux sur les pièces d'eau. Mais si on doit la démolir, pourquoi les émeutiers se sont-ils précipités pour l'attaquer?
LE BOURGEOIS - Pour deux raisons, jeune imbécile: la première, parce qu'elle est quand même le symbole du pouvoir arbitraire des rois, que nous ne voulons plus. La seconde parce que la Bastille est non seulement une prison, mais aussi une redoutable forteresse et que… Allons, dites-le!
LE FILS - Et que… Je ne sais pas.
LE BOURGEOIS - On vous l'a pourtant déjà expliqué! Si seulement vous aviez regardé le début de cette pièce! C'est là que le ministre de la guerre a fait enfermer toute la poudre de Paris.
LE FILS - Ah oui, c'est cette poudre qu'il faut mettre dans les fusils pour faire partir les balles.
LE BOURGEOIS - Vous y êtes… Aussi, suivons le peuple en armes et allons voir ce qui va se passer.


5 – L'assaut et la prise de la Bastille
L'HISTORIEN DE SERVICE - Nous revenons sur la haute tour de la Bastille. Le marquis de Launay est plus embarrassé que jamais et il ne sait pas ce qu'il faut faire. Le capitaine des Suisses pense, lui, que s'il est soldat, c'est pour se battre. Le vieux sergent essaye d'empêcher l'irréparable…
LE MARQUIS DE LAUNAY - Ça y est! Ils ont appris que nous avons de la poudre et ils viennent la chercher… Grand Dieu! Regardez donc cette foule menaçante qui nous entoure.
LE CAPITAINE DES SUISSES - Ce serait bien la première fois qu'une populace inexpérimentée viendrait à bout d'une forteresse pareille. Il n'y a qu'à tirer dans le tas…
LE MARQUIS DE LAUNAY - Vous n'y songez pas. Nous ne tirerons pas sur le peuple de Paris! Pas encore… Nous allons retirer les canons des créneaux, cela les calmera peut-être.
LE CAPITAINE DES SUISSES - Bien… Puisque vous le voulez! Reculez les canons.
LE VIEUX SERGENT - Monsieur le gouverneur, venez voir. Ils ont baissé le pont-levis et forcé la première porte… Ils se précipitent en masse dans la cour d'enceinte.
LE CAPITAINE DES SUISSES - Voilà ce que c'est que d'avoir reculé les canons.
LE MARQUIS DE LAUNAY - Alors, faites avancer les canons… (ils le font.)Bien!… (un temps d'hésitation) Non, reculez-les.
LE CAPITAINE DES SUISSES - Vous ne savez pas ce que vous voulez!
LE MARQUIS DE LAUNAY - Vous avez raison, avancez-les, cela leur fera peur.
LE VIEUX SERGENT - Ils n'ont pas peur du tout, ils avancent toujours… Mais voici un émissaire du peuple…
THURIOT - Monsieur, je suis Thuriot, le chef du district dans ce quartier de Paris. Les Parisiens ont pris possession de la ville! Je vous somme de rendre la Bastille au peuple à qui elle appartient.
LE MARQUIS DE LAUNAY - Le roi, le peuple… Comment voulez-vous que je m'y reconnaisse. Monsieur, je ne vous connais pas. Jamais je ne rendrai la Bastille.
THURIOT - Monsieur le gouverneur, je vais porter votre réponse au peuple, qui vous fera savoir ses décisions. (il sort)
LE MARQUIS DE LAUNAY - Ses décisions! Attendez, monsieur, attendez…
LE VIEUX SERGENT - Ça y est, les Gardes françaises ont amené deux canons qu'ils ont mis en batterie devant la seconde porte.
LE CAPITAINE DES SUISSES - Et en plus, ils nous tirent dessus au fusil… Ils vont nous forcer… Tirez, mais tirez donc!
LE VIEUX SERGENT - Non, ne tirez pas!
LE CAPITAINE DES SUISSES – Feu! (on entend le bruit de la fusillade et du canon)
LE MARQUIS DE LAUNAY - Il y a des morts là en bas… Vous n'auriez pas dû!
LE CAPITAINE DES SUISSES - Un peu de courage, monsieur le gouverneur, Avez-vous peur du sang? Nous n'allons pas nous rendre, tout de même!
LE VIEUX SERGENT - Ils reviennent... Il y en a beaucoup et ils se préparent à tirer au canon contre la porte.
LE MARQUIS DE LAUNAY - Vous avez raison, capitaine. Non, nous n'allons pas nous rendre. Je vous prie de leur faire porter ce billet (il écrit, le capitaine prend le billet et sort)
LE VIEUX SERGENT - Qu'est-ce que vous avez écrit sur ce billet?
LE MARQUIS DE LAUNAY - Que, s'ils ne se retirent pas immédiatement, je ferais sauter la Bastille.
LE VIEUX SERGENT - Mais avec toute la poudre qui est dans les caves, cela détruirait tout le quartier! Combien de morts…? Vous ne pouvez pas faire ça, monsieur le gouverneur!
LE MARQUIS DE LAUNAY - Et qui est-ce qui m'en empêcherait?
LE VIEUX SERGENT - Nous, vos vieux soldats, qui avant tout appartiennent au peuple français. La Bastille ne sautera pas! (il lui barre le chemin)
LE MARQUIS DE LAUNAY - Décidément, ils sont tous d'un avis contraire… A la fin, je ne sais plus où donner de la tête!
LE CAPITAINE DES SUISSES - (rentrant) Alerte, alerte, ils ont forcé la porte principale, ils sont entrés dans la cour…
LE MARQUIS DE LAUNAY - Alors, nous ne pouvons plus rien? Il ne nous reste plus qu'à nous rendre!
LE CAPITAINE DES SUISSES - Quoi, sans combattre?
LE MARQUIS DE LAUNAY - C'est un ordre, capitaine. Sergent, hissez le drapeau blanc. (le sergent hisse le drapeau blanc)

6 – A l'Hôtel de ville: Le roi accepte ce qui s'est passé
L'HISTORIEN DE SERVICE - La Bastille est tombée. Nous sommes maintenant à l'hôtel de ville. Tous les personnages de la scène de l'émeute sont rassemblés. En plus, M. Bailly, qui vient d'être élu maire de Paris, et La Fayette, qui vient d'être nommé général de la garde nationale… Le roi aussi, qui arrive tout juste et qui ne fait pas preuve de beaucoup de caractère.
LE ROI LOUIS XVI - Eh bien, messieurs, je suis venu ici à votre demande… Me voici! (tous gardent un silence oppressant pendant que le roi examine les personnes présentes…)
LE ROI LOUIS XVI – Et vous, monsieur, qui êtes-vous?
BAILLY - Je suis l'astronome Bailly. Les Parisiens m'ont élu maire de Paris.
LE ROI LOUIS XVI - Jusqu'à présent, il n'y avait pas de maire à Paris.
BAILLY - Les Parisiens ont jugé bon qu'il y en ait un.
LE ROI LOUIS XVI - Ah, s'ils l'ont jugé bon… Et vous avez pris la Bastille, il paraît?
BAILLY - Oui, Sire.
LE ROI LOUIS XVI - Quelle idée… Mais cela est bien… Puisque c'est fait, c'est bien. Mais vous n'auriez pas dû promener la tête de monsieur de Launay au bout d'une pique! Cela est contraire aux usages. Et que faites-vous ici, monsieur de La Fayette?
LA FAYETTE - Les parisiens ont formé une Garde nationale et ils m'en ont nommé général… à condition que vous acceptiez?
LE ROI LOUIS XVI - Les Parisiens décident donc de tout! J'accepte et je vous félicite très chaleureusement, monsieur de La Fayette… Après avoir libéré les Américains, voilà que vous libérez les Parisiens. Mais qu'est-ce que cette cocarde que vous portez à votre chapeau, monsieur Bailly?
BAILLY - C'est la cocarde tricolore. Le bleu et le rouge sont les couleurs de la ville de Paris. J'y ai fait ajouter le blanc, qui est la couleur de la royauté.
LE ROI LOUIS XVI – Cela part d'un bon sentiment… Et vous aussi, vous l'avez, monsieur de La Fayette!
LA FAYETTE – Certes! Ne voulez-vous pas en épingler une à votre chapeau?
LE ROI LOUIS XVI - Mais bien volontiers… (il épingle la cocarde) Voilà! Vous devez me trouver bien faible, messieurs…
QUELQUES VOIX CLAIRSEMEES – Vive le roi, vive le roi… (puis silence lourd))
LE ROI LOUIS XVI - Allons, je crois que pour cette fois j'ai sauvé mon trône et il n'y a plus rien à dire. Je m'en vais rentrer à Versailles.

RAPPEL HISTORIQUE

La Bastille était une forteresse carrée soutenue par quatre tours d'angle, d'une hauteur impressionnante. Elle avait été construite en 1370 pour défendre l'entrée dans Paris par la porte Saint-Antoine. Depuis Richelieu et le début du règne de Louis XIV, la ville s'étant étendue, la Bastille elle avait perdu de son utilité militaire et était devenue progressivement une prison d'Etat. L'on y enfermait les individus qui avaient, d'une façon ou d'une autre porté, ou qui risquaient de porter atteinte à la sureté de la nation. Nombre d'entre eux y étaient envoyé par une "Lettre de cachet", c’est-à-dire sans avoir été jugés, mais par la seule décision du roi. Nous parlerions aujourd'hui de "détention administrative".
Il y avait sous les tours quelques cachots obscurs et froids pour les récalcitrants, mais dans les étages la Bastille était une prison confortable où les cellules (plutôt des chambres!) étaient bien aménagées, où l'on pouvait lire, écrire, apporter ses propres meubles, travailler à son goût, parfois se promener librement dans la forteresse et y jouer aux boules. Ou même, sur parole, aller dîner en ville, ou encore, bien que l'ordinaire des cuisines fût généralement considéré comme très satisfaisant, se faire apporter sa propre nourriture... Parfois même le gouverneur pouvait inviter à diner tel ou tel prisonnier de qualité.
S'y retrouvèrent des auteurs de libelles insultants, des duellistes (le duel avait été interdit par Richelieu), des faussaires, des enfants de famille turbulents, des conspirateurs, des hérétiques, des jansénistes, des protestants... Et, pour nommer quelques-uns des prisonniers les plus célèbres: Bernard Palissy, Beaumarchais, le grand Condé, Nicolas Fouquet, le maréchal de Luxembourg, Marmontel, l'abbé Morellet, le cardinal de Rohan, le marquis de Sade... Voltaire lui-même y fit deux courts séjours!
A la veille de la Révolution, la Bastille avait perdu son rôle d'intimidation. Elle n'avait plus qu'une valeur symbolique. Elle fut ainsi décrite: "Une maison hermétiquement fermée et diligemment gardée, où toute personne, quel que soit son âge, son sexe ou son rang, pouvait entrer sans savoir pourquoi, y être enfermée sans savoir pour quelle durée, en attendant d'en sortir sans savoir comment." (Servan) D'autre part, la Bastille coûtait très cher: le traitement du gouverneur était royal (c'est bien le moins!). Il fallait aussi payer l'entretien des bâtiments, les traitements des porte-clés, des médecins, chirurgiens, apothicaires, aumôniers qui y opéraient, la solde de la garnison, ses uniformes et ses armes, son entretien et sa nourriture ainsi que celle des prisonniers... C'était beaucoup, à la veille du 14 juillet 89, pour les sept prisonniers qu'il fallait encore y garder...