Déposé à la SACD
LA MARSEILLAISE
Michel fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )
PERSONNAGES
L'historien de service, l'instituteur, Rouget de l'Isle, le maire de Strasbourg,
Les quatre Marseillais, le poète Klopstock
L'HISTORIEN DE SERVICE - Nous sommes en pleine Révolution! La France
inquiète ses voisins royalistes, qui ont mobilisé d'importantes
forces pour en venir à bout. Au milieu des soldats de l'armée
française, à Strasbourg, Rouget de l'Isle compose la Marseillaise,
un chant de liberté dont les échos résonnent bientôt
dans le monde entier…
L'INSTITUTEUR - Vous êtes bien Rouget de l'Isle ?
ROUGET DE L'ISLE - Oui…
L'INSTITUTEUR - Claude-Joseph?
ROUGET DE L'ISLE - C'est bien ça.
L'INSTITUTEUR - Capitaine dans le Génie à l'armée du Rhin?
ROUGET DE L'ISLE - Exact!
L'INSTITUTEUR - Moi, je suis instituteur et chargé des belles lettres
et des arts à la municipalité de Strasbourg. J'ai reçu
votre travail la semaine dernière. Je l'ai regardé de près
et si j'étais votre professeur, je vous aurais mis cinq et demi sur dix.
ROUGET DE L'ISLE - Seulement?
L'INSTITUTEUR - C'est un travail appliqué, touchant même par certains
côtés, mais somme toute quelconque… Pas de quoi enthousiasmer
les foules. Cinq pour le poème et six pour la musique. Ce qui fait bien
cinq et demi de moyenne. Je vais vous montrer mes corrections…
LE MAIRE DE STRASBOURG - (entrant) Je suis le baron de Dietrich, le maire de
Strasbourg… Nous sommes donc en 1792 et les armées de l'Europe
des rois menacent de tous côtés notre jeune Révolution.
Particulièrement ici, sur le front de l'est. Derrière la frontière
se préparent la redoutable armée prussienne et la non moins redoutable
armée austro-hongroise. Contre elles, les volontaires français
affluent de tout le pays… Mon cher Rouget de l'Isle, votre chant patriotique
tombe à pic: il est sublime, il va galvaniser nos troupes. Je l'ai chanté
et rechanté hier pendant que ma femme m'accompagnait au clavecin…
Quel extraordinaire coup de génie!
ROUGET DE L'ISLE - Merci. Cela m'est venu sans savoir comment. Un beau soir…
et le lendemain, ça y était!
L'INSTITUTEUR - Monsieur le maire, pardonnez-moi, je ne suis pas de votre avis.
Je trouve qu'il y a dans cet… essai beaucoup de faiblesses.
LE MAIRE DE STRASBOURG - Je trouve qu'il s'en dégage au contraire énormément
de force. Et justement, les volontaires marseillais, qui, même s'ils ne
sont pas des enfants de chœur, sont bien des enfants de la patrie, viennent
d'en faire leur hymne favori. (entrent quatre Marseillais) Avant tout, écoutez-les.
LES QUATRE MARSEILLAIS – (en chœur)
Allons, enfants de la patrie,
Le jour de gloire est arrivé!
Contre nous de la tyrannie
L'étendard sanglant est levé! (bis)
Entendez-vous dans nos campagnes
Mugir ces féroces soldats?
Ils viennent jusque dans nos bras
Egorger nos fils, nos compagnes…
Aux armes, citoyens, formez vos bataillons,
Marchons, marchons,
Qu'un sang impur abreuve nos sillons.
LE MAIRE DE STRASBOURG - Hein… Vous ne trouvez pas que ça sonne
bien? Et vous dites que vous avez composé ça en une nuit?
ROUGET DE L'ISLE - Quand l'inspiration vient… Oui, en une nuit.
L'INSTITUTEUR - Ça se voit! Je vous l'ai dit, travail bâclé!
Et puis rempli d'expressions ridicules et de lieux communs: la gloire, la patrie,
l'étendard… et surtout l'étendard sanglant! Et la tyrannie…
Maintenant on dit la dictature! Et les soldats qui mugissent! Les vaches mugissent,
pas les soldats. Et puis, égorger, c'est un peu trop réaliste…
Je ne parle pas du sang impur, mauvaise liaison: le sankimpur, le sankimpur…
PREMIER MARSEILLAIS - Eh bien, nous, nous trouvons que c'est un air qui a des
moustaches!
DEUXIEME MARSEILLAIS - Et qu'il donne envie de marcher face à l'ennemi.
TROISIEME MARSEILLAIS - Et qu'il vous fait sortir tout seuls les sabres des
fourreaux.
QUATRIEME MARSEILLAIS - Et que, s'il était besoin, il ressusciterait
les morts.
L'INSTITUTEUR - Allons, allons, je suis professeur de littérature et
d'orthographe… Ce chant devrait être interdit. Il n'est pas à
la hauteur…
LE MAIRE DE STRASBOURG – Mon cher ami, je ne suis pas de votre avis.
ROUGET DE L'ISLE – Je vous remercie, monsieur le maire! Je l'avais d'abord
appelé "Chant de l'armée du Rhin". Mais comme ce sont
nos Marseillais qui l'ont fait connaître, c'est tout de suite devenu "La
Marseillaise"
LE MAIRE DE STRASBOURG - Et les soldats se sont emparés de lui et partout,
dans toutes les armées, sur tous les fronts, on le chante… Avec
cet air-là, on remporte des batailles. Ecoutez ce que disent nos généraux…
Le général Desaix:
PREMIER MARSEILLAIS - "J'ai gagné la bataille, La Marseillaise était
avec moi!"
LE MAIRE DE STRASBOURG - Et les général Carnot:
DEUXIEME MARSEILLAIS - "Si vous ne pouvez pas m'envoyer mille hommes de
renfort, envoyez-moi mille exemplaires de La Marseillaise."
LE MAIRE DE STRASBOURG - Et le général Dumouriez::
TROISIEME MARSEILLAIS - "Si l'ennemi attaque, baissez vos baïonnettes,
entonnez La Marseillaise et foncez!"
LE MAIRE DE STRASBOURG - Et le général Hoche:
QUATRIEME MARSEILLAIS - "Sans La Marseillaise, je peux me battre à
un contre deux. Avec La Marseillaise, à un contre quatre."
L'INSTITUTEUR - Les généraux n'y connaissent rien en littérature…
Croyez-en les professeurs, eux seuls sont capables….
KLOPSTOCK - (entrant) Je suis le poète allemand Klopstock… Mon
cher professeur, si vous acceptez le témoignage de l'ennemi, laissez-moi
vous dire que M. Rouget de l'Isle est un homme terrible: il nous a moissonné
cinquante mille soldats allemands avec sa Marseillaise!
L'INSTITUTEUR - Monsieur, si vous êtes poète, vous m'aiderez à
convaincre M. Rouget de l'Isle que son chant patriotique ne vaut pas tripette.
Je lui ai déjà dit ce que je pensais des paroles, pour qu'il puisse
les corriger. Je voudrais maintenant insister sur la musique dont les rythmes
sont pauvres et communs: pa-pa, pa-pam… etc. Quant à la mélodie,
elle n'a rien que de banal…
KLOPSTOCK - Oui, vous avez raison, monsieur le professeur, mais, - et je vous
le concède, c'est un mystère! – le mélange de toutes
ces choses bien connues produit un effet enthousiasmant. Et la preuve: savez-vous
qu'après avoir emporté la Révolution et l'Empire, La Marseillaise
a franchi les siècles et qu'elle est devenu le chant de tous les peuples
qui aspirent à la liberté? On l'a chantée en Espagne, en
Russie, en Pologne, en Hongrie, au Chili… dans les émeutes, dans
les prisons, dans les camps de concentration. La Marseillaise n'est pas seulement
l'Hymne national des Français, elle est l'hymne de tous ceux qui dans
le monde entier luttent contre l'oppression, un "chant éternel offert
à toutes les nations."
L'INSTITUTEUR - Je vois bien qu'il faut que je me rende et que je remballe ma
grammaire!
KLOPSTOCK - Cela vaudra mieux. Ne soyez pas chagrin.
LE MAIRE DE STRASBOURG - Allons, messieurs, à vous de terminer cette
discussion…
LES QUATRE MARSEILLAIS – (en chœur)
Amour sacré de la patrie,
Conduis, soutiens nos bras vengeurs,
Liberté, liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs! (bis)
Sous nos drapeaux que la victoire
Accoure à tes mâles accents.
Que nos ennemis expirants
Voient ton triomphe et notre gloire.
Aux armes, citoyens, formez vos bataillons,
Marchons, marchons,
Qu'un sang impur abreuve nos sillons.
LE MAIRE DE STRASBOURG - Je vous le confirme, ce chant patriotique va faire le tour du monde… Et il n'est pas pour rien dans l'idée que les Français se font d'eux-mêmes et de la France. Encore merci, capitaine Rouget de l'Isle.
(Ils saluent tous…)
RAPPEL HISTORIQUE
A la fin du XVIIIème siècle, les livres étaient encore
rares, les journaux parcimonieux, les discours ne touchaient que peu de monde...
et le principal vecteur d'influence fut la chanson! Les mélodies sont
simples, facilement mémorisables, les textes, toujours marquées
d'une pointe d'humour narquois quand ce n'est pas d'une critique dévastatrice,
ponctués par des refrains qui se gravent dans les mémoires. Ainsi,
elles se répandaient facilement et rapidement et, chantées en
chœur, échappaient à la censure... Alors que sous l'ancien
régime les chansons politiques étaient fortement surveillées,
elles furent sous la Révolution la base même de l'éducation
politique du peuple français. Elles commentaient l'événement
et parfois le créaient. On dirait aujourd'hui qu'elles offraient à
tous les citoyens des "éléments de langage" qui alimentaient
les conversations et structuraient les esprits.
On a estimé à 3 000 environ le nombre de "chansons"
produites par la Révolution française, soit en gros une chanson
par jour. Pour ne rien dire des hymnes, cantates, opéras dont l'époque
était friande. Ces chansons pouvaient sortir spontanément de l'improvisation
du peuple, mais elles furent aussi souvent l'œuvre de professionnels ou
d'ateliers spécialisés qui recevaient des commandes de tous bords,
Clubs révolutionnaires, états-majors militaires, comités
politiques...
Le 30 avril 1793 la France révolutionnaire déclara la guerre à
l'Autriche-Hongrie. Les premiers engagements ne furent pas favorables aux troupes
françaises et c'est dans une atmosphère de déroute que
fut créée à Strasbourg la Marseillaise. Publiée
dans nombre de journaux révolutionnaires, elle fut un peu par hasard
popularisée par des groupes de soldats marseillais qui montaient au front.
Ils la chantaient avec un tel enthousiasme que, pour ainsi dire, ils se l'approprièrent.
Son véritable nom est: Chant de guerre pour l'armée du Rhin. Quelques
jours après sa publication, l'armée française remporta
l'étrange et célèbre victoire de Valmy. Ensuite, avec des
hauts et des bas, la Marseillaise fut reconnue comme l'hymne national de la
France. Mais surtout elle devint, dans beaucoup de pays entrés en rébellion
contre des pouvoirs dictatoriaux, un chant universel de Liberté.