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Déposé à la SACD


LA BATAILLE D'AUSTERLITZ

Michel Fustier
(toutes les pièces de M.F. sur : http://theatre.enfant.free.fr )

PERSONNAGES
Napoléon, Clémence, Brigitte, Etienne, Jean-michel, Jeanne

1 –
L'HISTORIEN DE SERVICE - Une classe imaginaire vient d'étudier l'histoire de Napoléon. Les élèves se préparent à passer un examen et, ô surprise, c'est Napoléon lui-même qui vient les interroger!
NAPOLEON - (entrant de dos et parlant à un interlocuteur qu'on ne voit pas) Mais bien volontiers… Je vais leur faire passer un petit examen et je vous dirai ensuite ce que je pense de votre enseignement. Ils sont là? …Oui, très bien, je les vois et je me débrouille avec eux. (aux cinq élèves) C'est moi!
TOUS – Ah…
CLEMENCE - Ça alors!
NAPOLEON - Vous me reconnaissez?
CLEMENCE - Naturellement… Cette question. Vous êtes au programme.
BRIGITTE - Mais vous… vous êtes vraiment Napoléon?
NAPOLEON - Mais oui, en personne.
JEAN-MICHEL - Vous n'êtes pas un acteur?
NAPOLEON - Non, non, je suis moi… Bon acteur, mais cependant bien moi-même…
BRIGITTE - C'est formidable, ça! L'Empereur…
ETIENNE - Mais ce n'est pas tout de même vous qui venez pour l'examen d'histoire?
NAPOLEON - Mais si! L'examen, un bien grand mot. J'ai surtout voulu faire plaisir à votre professeur… Mais auparavant je vous passe en revue… Garde à vous! Toi, Etienne, tu es le fort en thème… incollable sur les détails. Et toi, grenadier, tu es Clémence la rouspéteuse…
CLEMENCE - Comment savez-vous ça?
NAPOLEON - Je ne serais pas ce que je suis si je ne savais pas… beaucoup de choses. Et toi, c'est Brigitte, l'enthousiaste… Merci Brigitte (il l'embrasse). Et toi, c'est Jeanne… le moins qu'on puisse dire… je ne le dis pas. Oui, je sais tu ne peux pas m'encadrer, c'est bien ça? Et toi, mon garçon, comme tu domines bien la question (il lui pince l'oreille): hein, Jean-Michel? L'examen, tout ira bien… De toute façon, je n'ai pas beaucoup de temps à vous consacrer et entre nous, j'aimerais bien avoir aussi un peu de temps pour que vous me disiez ce qu'on pense de moi aujourd'hui.

2 –
JEANNE - Eh bien, là-dessus, il n'y a aucun doute…
JEAN-MICHEL – Tais-toi! Mais comment faut-il vous appeler?
BRIGITTE - Moi, je dirais "Majesté"…
JEANNE - Mais non, c'est complètement ridicule, il ne règne plus et nous ne sommes pas ses sujets.
ETIENNE - Elle a raison. Alors "Sire"? Ce serait plus familier, mais respectueux quand même.
CLEMENCE - Respectueux, respectueux! Et pourquoi pas Napoléon, tout simplement? C'est son nom après tout. Tous nos professeurs, sauf cette vache de madame Cumin, on les appelle par leurs petits noms… Et toi, qu'est-ce que tu en penses?
JEAN-MICHEL - Moi, j'aurais plutôt dit "monsieur"! Mais Napoléon, ce serait aussi très bien.
NAPOLEON - Eh bien, le peuple français a voté, ce sera Napoléon… Pourquoi pas, ça m'est déjà arrivé.
CLEMENCE - Sur quoi est-ce que tu vas nous interroger?
NAPOLEON - Ah, parce que vous me tutoyer aussi… Entendu, citoyens. Mais sur ce que vous voudrez.
BRIGITTE - J'aimerais que ce soit Austerlitz. Je trouve que c'est une bataille formidable.
NAPOLEON - Ah, mais si vous connaissez encore le nom de mes batailles! Je pensais que c'était oublié depuis longtemps.
ETIENNE - Mais pas du tout, Napoléon. D'abord, il y a une gare qui s'appelle comme ça et puis nous avons un excellent professeur.
JEAN-MICHEL - Il faut dire aussi que depuis que tu as vécu, on n'a pas eu beaucoup de grands hommes à se mettre sous la dent.
CLEMENCE - Tu exagères: et Victor Hugo, et Clemenceau, et de Gaulle?
BRIGITTE - Je te les laisse. Ils ne sont pas mal, mais lui, il est fascinant… Ah!

3 –
JEANNE - Si vous commencez à porter des jugements, moi, je tiens à dire que je ne l'admire pas du tout: une brute sanguinaire, c'est tout ce que tu as été.
NAPOLEON - Allons mes enfants, j'ai toujours été très discuté, je le sais, mais ne vous querellez pas pour moi. Donc, Austerlitz?
JEANNE - Tu dois savoir en tout cas que je serai sans complaisance.
NAPOLEON - Très bien Jeanne, je me le tiens pour dit… Eh bien, que savez-vous d'Austerlitz?
JEANNE - En particulier que tu as fait tirer à boulets rouges sur la glace et que les pauvres Russes se sont noyés par milliers… C'était dans les marais de… J'ai oublié!
ETIENNE - De Sokolnitz. Pour bien critiquer, il faut savoir!
NAPOLEON - Ah dites donc, vous êtes bien renseignés. Mais ce que tu dis, Jeanne, c'est la légende. Le lendemain de la bataille, j'ai fait draguer le marais et on y a trouvé beaucoup de canons russes, qui ne savaient pas nager, mais tout au plus une centaine de cadavres d'artilleurs déjà blessés, les autres s'étaient tirés d'affaire tout seuls… Les étangs n'étaient pas profonds.
CLEMENCE - Et de toute façon, la bataille s'achevait, la nuit tombait déjà. Les Russes et les Autrichiens s'enfuyaient de tous les côtés…
NAPOLEON - Exact!
JEANNE - Boucherie inutile, donc…
JEAN-MICHEL - Jeanne, tu es stupide. Ils n'étaient pas venus lui apporter des fleurs, les artilleurs russes. Et puis, il ne faut pas commencer par la fin. Moi, je pense que cette bataille d'Austerlitz, elle avait commencé bien avant d'être livrée

4 –
NAPOLEON - Ah, voilà qui est intéressant… Et quand donc?
JEAN-MICHEL - Sur les bords du Channel… Etienne, comment s'appelait le camp où l'Empereur avait réuni toute sa flotte pour envahir l'Angleterre? Moi, les noms, je ne m'en souviens jamais…
ETIENNE - Des camps, il y en avait un peu partout sur la côte de la Manche. Mais le principal c'était le camp de Boulogne.
CLEMENCE - Boulogne! Qu'est-ce que tu racontes? Austerlitz, c'est de l'autre côté de l'Europe, au-dessus de la Hongrie, pas loin de la Russie! Tu confonds tout.
JEAN-MICHEL - Mais pas du tout. Ils sont partis de Boulogne…Demi-tour, en avant marche!
CLEMENCE - Combien est-ce qu'il y a de kilomètres de Boulogne à Austerlitz?
ETIENNE - Plus deux mille…! Deux mille cinq cents peut être. Napoléon leur avait donné des tas de paires de souliers…
BRIGITTE - Tu vois comme il était!
CLEMENCE - Et tu prétends que Napoléon, enfin, lui, là, il est parti de Boulogne en disant: adieu l'Angleterre, je pars pour Austerlitz?
JEANNE - De toute façon, il ne savait pas ce qu'il voulait, c'était une girouette, la preuve!
JEAN-MICHEL - Au contraire, il savait très bien ce qu'il voulait… Comme il ne pouvait pas envahir l'Angleterre tout de suite, parce que la flotte française n'était pas arrivée, il avait décidé d'aller battre les Russes et les Autrichiens qui commençaient à réunir une armée là-bas pour envahir la France… Et il fallait faire vite, car la Prusse aussi était en train de mobiliser pour les rejoindre!
CLEMENCE - Et ça a pris combien de temps cette petite balade?
ETIENNE - Oh, pas longtemps. Ils sont partis de Boulogne, voyons, début septembre et ils sont arrivés le 20 novembre à Austerlitz… Strasbourg d'abord, ensuite la Forêt noire et la vallée du Danube… La bataille a eu lieu le 2 décembre 1805.
CLEMENCE - Ça fait quand même deux mois et demi de marche!
BRIGITTE - Ce sont des héros. Marcher comme ça, deux mois et demi, et livrer une grande bataille, affamés, épuisés… et remporter la victoire.
JEANNE - Pauvres soldats, c'est inhumain!
ETIENNE – C'est surhumain! Sans oublier qu'au passage ils s'étaient déjà bien battus et qu'ils avaient pris la ville fortifiée d'Ulm, où ils avaient fait prisonniers quarante mille Autrichiens… qui n'en étaient toujours pas revenus!

5 –
NAPOLEON - Mes enfants, je suis émerveillé de tout ce que j'entends! Moi qui avais peur qu'on ait oublié jusqu'à mon nom. Je vous mettrai de très bonnes notes à l'examen.
CLEMENCE - Même à Jeanne?
NAPOLEON - Naturellement! En d'autres temps, je l'aurais fait exiler, comme tous mes opposants. Mais aujourd'hui, je comprends très bien ce qu'elle veut dire, même si je trouve qu'elle n'est pas toujours bien informée… Mais vraiment, c'est votre professeur qui vous a dit tout ça?
ETIENNE - Nous avons lu des livres aussi.
NAPOLEON - Ah oui? Lesquels? J'aimerais bien voir ça.
JEAN-MICHEL - Il y en a beaucoup! Nous avons lu chacun le nôtre.
NAPOLEON - Faites m'en une pile, je les regarderai ce soir, ça m'intéressera.
BRIGITTE - Moi, je voudrais bien qu'on en vienne à Austerlitz, c'est quand même l'essentiel. Ulm, c'est bien joli, mais là-bas, en Moravie, les Russes attendent de pied ferme.
ETIENNE - Il y a les Autrichiens aussi…
JEAN-MICHEL - Oui, bien sûr… Mais je trouve qu'il n'y en qu'un qui puisse en parler vraiment.
BRIGITTE - Tu veux dire Etienne?
JEAN-MICHEL - Mais non! Etienne sait tout mais il n'y était tout de même pas. Je veux dire, lui, Napoléon!
CLEMENCE - Mais ce n'est pas lui qui passe l'examen.
JEAN-MICHEL - Pour une fois qu'on l'a sous la main, un témoignage direct… Il nous mettrait les notes qu'il aurait lui-même méritées. C'est une leçon qu'on n'oublierait pas… Ça ne t'ennuie pas, Napoléon?
JEANNE - Mais bien sûr que non, que ça ne l'ennuiera pas. On est toujours si content de parler de soi.
JEAN-MICHEL - Ne sois pas désagréable. Venez, on se met en cercle et on écoute.

6 –
NAPOLEON - (assis et les bras sur le dossier de sa chaise) Donc, les Russes et les Autrichiens, effectivement, nous attendaient au fond de l'Europe… Quand je dis qu'ils nous attendaient… Non précisément, ils ne nous attendaient pas. Surtout pas! Ils ne nous attendaient pas et ils se préparaient plutôt à nous envahir. Donc de mon côté, pour que la surprise soit complète, il fallait aller vite. Et voilà que nous arrivons… Nous nous trouvons en pays ennemi, loin de nos bases et nous sommes deux fois moins nombreux … Les Russes, tout étonnés de nous voir, s'imaginent qu'en présence de leurs terrifiantes armées, nous allons demander à négocier. Ils nous font même des propositions de reddition: mais pas question! Nous ne sommes effectivement pas aussi nombreux qu'eux et bien fatigués, et puis c'est la fin de novembre, il fait déjà froid… mais nous allons vraiment nous battre. Je prends tout de même quelques jours pour laisser les troupes se reposer et pour inspecter le terrain et choisir mon emplacement. Je prends ma décision: ce sera près du village d'Austerlitz que nous livrerons la bataille décisive. Et nous allons tâcher d'imposer à l'adversaire non seulement le lieu de la bataille, mais notre stratégie …
JEAN-MICHEL - C'était la stratégie oblique?
NAPOLEON - Tu sais ce que c'est que la stratégie oblique?
JEAN-MICHEL - C'est le grand Frédéric qui l'avait mise au point: ça consistait à tourner l'ennemi sans qu'il ait eu le temps de réagir.
CLEMENCE - Je ne comprends pas.
ETIENNE - Je te confirme… Au lieu d'attaquer les troupes adverses de face, on passe sur leur flanc, on les attaque de côté ou par derrière et elles ne savent plus où donner de la tête.
NAPOLEON - Tout à fait. La stratégie oblique était le nec plus ultra de la stratégie, et tellement fameuse que j'étais sûr que les Russes l'emploieraient contre nous. C'était le piège! Et en effet, le 2 décembre vers trois heures du matin, ils commencent leur mouvement d'encerclement…
ETIENNE - En descendant du plateau de Pratzen?
NAPOLEON - Ah, mais dites donc! Décidément vous en savez, des choses! Oui, en descendant du plateau de Pratzen. On les devinait dans la nuit, un immense piétinement sourd… Etienne, fais-nous donc un petit croquis… Un petit croquis vaut mieux qu'on long discours.
ETIENNE - (au tableau) Ici, le mont Pratzen. Là en dessous, les troupes françaises, derrière une petite rivière…. Sur le plateau, les Russes et les Autrichiens. Ils vont essayer de nous tourner par l'endroit où il y a des marais, à Sokolnitz. Et en effet, les Russes descendent du mont Pratzen…
NAPOLEON - Très bien! On pourrait penser que tu y étais… Oui, mais à rusé, rusé et demi! J'ai justement découvert ma droite pour qu'ils aient envie de l'enfoncer… Ils donnent donc à fond dans la stratégie oblique. Mais la stratégie oblique, ça ne marche que si l'ennemi n'est pas au courant. Et moi, je leur laisse la stratégie oblique et je les attends au passage! Et crac, alors que cinquante mille Russes font mouvement pour nous surprendre et que le soleil – le soleil d'Austerlitz! – est en train de dissiper les brumes matinales, nous les attaquons par le flanc, avec toutes les forces disponibles… Ici et ici… (il montre) Ils ne s'y attendaient pas! Et ce n'est pas commode de faire faire un quart de tour à une armée en marche… Nous les bousculons, nous les coupons en deux, nous les disloquons… Je simplifie, naturellement!
ETIENNE - Et c'est tout cela qui s'est terminé dans les marécages?
NAPOLEON - Oui, pour quelques-uns… Les marécages, là (il montre). Les autres se sont enfuis comme des rats. Et tout s'est joué entre six heures du matin et cinq heures de l'après-midi… Quarante drapeaux, les étendards de la Garde russe, cent vingt pièces de canon, vingt généraux, trente mille prisonniers… L'armée austro-russe est détruite!

7 –
BRIGITTE - Ça valait vraiment la peine de faire ces deux mille cinq cents kilomètres!
JEANNE - Tu trouves. Moi je me demande si c'était réellement utile.
BRIGITTE - C'est si beau, cette victoire. Ce qui est beau est toujours bien.
JEAN-MICHEL – Vraiment? Soyons concret: combien de morts et de blessés?
ETIENNE - Dans l'armée française, mille trois cents morts et sept mille blessés.
JEAN-MICHEL - Et chez les autres?
ETIENNE - On ne sait pas exactement: entre les tués et les prisonniers, environ quarante mille hommes, le tiers de leurs effectifs. Il y a toujours plus de morts chez les vaincus.
JEANNE - Ça fait quand même beaucoup. C'est une grosse responsabilité qu'il a prise.
BRIGITTE - Est-ce que c'est lui qui l'a prise? As-tu entendu ce qu'il a dit aux ennemis: "Vous me faites une guerre injuste, je ne sais pas pourquoi je me bats, je ne sais pas ce que l'on veut de moi." Tu vois bien qu'il n'y était pour rien.
JEANNE - C'est facile de dire ça. Ce sont de belles paroles qui cachent la réalité.
BRIGITTE - Les mots cachent toujours la réalité… Mais en ce qui concerne Austerlitz, ce n'était vraiment pas lui qui était en train de réunir deux cent mille hommes pour envahir la France! La réalité, elle était quand même là, il ne faut pas être idiot non plus.
JEANNE - S'il n'était pas allé les provoquer, ils ne seraient jamais venus.
JEAN-MICHEL - Qu'en sais-tu?
JEANNE - Ecoute, si les choses en étaient restées là... très bien, je ne dis plus rien et d'accord pour Austerlitz! On règle les comptes à Austerlitz et ensuite on se tient tranquille. Chacun règne pacifiquement sur des pays qui s'enrichissent. C'était possible. Mais en fait Napoléon aimait la guerre.
CLEMENCE - Il est certain que quand on sait bien faire quelque chose, ça vous démange de continuer à le faire, pas vrai, Jean-Michel?
JEAN-MICHEL - Mais il savait aussi faire très bien des tas d'autres choses. Il a très bien gouverné la France, il a fait de très bonnes lois… Ne simplifie pas.
JEANNE - Je veux bien qu'ils l'aient provoqué, mais, je le répète, il aimait surtout faire la guerre! Tellement que tout ça s'est terminé par la retraite de Russie. Quelle folie!

8 –
NAPOLEON - J'aime bien les petits Français d'aujourd'hui, on croit qu'on va leur faire passer un examen et en fait, ce sont eux qui vous en font passer un. Et si je comprends bien, je suis sur le point d'être recalé?
JEANNE - En ce qui te concerne, oui. Tu as tout de même laissé beaucoup trop de morts sur les champs de bataille.
BRIGITTE - Pour moi, je ne le condamne pas du tout. C'était nécessaire et il nous a montré que nous étions capables de faire de grandes choses… Depuis deux siècles, il nourrit tous nos rêves.
ETIENNE - Le rêve, c'est bien joli. Mais il faudrait faire un bilan précis, sans passion. Les morts, oui, mais tout le reste aussi!
BRIGITTE - Toi, tu es trop raisonnable! Comment veux-tu qu'on n'y mette pas beaucoup de passion?
JEAN-MICHEL - Moi, je serais plus nuancé: il n'est pas grand où on l'imagine, mais… je crois qu'il a simplement payé le prix de la Révolution. Les princes et les rois d'Europe étaient les pires ennemis de la liberté des peuples et il leur a montré qu'il fallait compter avec elle. Ça nous a coûté beaucoup de soldats, mais…
CLEMENCE - Tu racontes n'importe quoi! La liberté, et puis quoi encore?
JEAN-MICHEL - La liberté, ça coûte cher. On ne peut pas dire ça?
JEANNE - Napoléon était un tyran, le premier ennemi de la liberté.
BRIGITTE - Ce n'est pas possible… proférer de telles insanités.
ETIENNE - N'empêche que si Napoléon revenait aujourd'hui, on serait peut-être bien contents qu'il nous aide à remettre de l'ordre dans nos affaires.
CLEMENCE - Hou, là, là! Moi, je n'en suis pas si sûre; Mais…
NAPOLEON - Excusez-moi, mon carrosse m'attend, il va falloir que je reparte… Alors suis-je reçu? Parlez-en encore entre vous, et puis vous m'enverrez mes notes sur mon bulletin. Je suis très curieux de les connaître… Quand on prépare un examen, on apprend des choses, et ensuite, on les sait ou on ne les sait pas: c'est clair. Mais quand on vit, on s'avance dans une espèce de brouillard et on ne sait rien à l'avance, on n'y voit rien de certain et il faut improviser et prendre des risques! Alors, oui, j'en ai pris. Si je n'en avais pas pris, je me serais moins trompé… et encore, je n'en suis pas certain. En tout cas, petits Français d'aujourd'hui, je trouve que vous savez beaucoup de choses et que vous ne raisonnez pas si mal! Vous avez tous vingt sur vingt… Moi, j'ai essayé de bâtir l'Europe à ma façon. J'y étais presque arrivé… Votre Europe, à vous, elle ne se construira pas à force de batailles, mais il vous faudra la vouloir avec beaucoup d'intensité. Elle sera le fruit de vote ferveur et de votre lucidité. Je vous fais confiance. Adieu!

 

RAPPEL HISTORIQUE


En août 1805, empêché par la marine anglaise de débarquer en Angleterre et recevant d'Autriche des nouvelles inquiétantes, à savoir que l'Autriche, la Russie et la Prusse se préparent à marcher sur la France (troisième coalition), Napoléon décide de changer de stratégie: il ira les battre avant qu'ils n'aient pu se mettre en marche. Du camp de Boulogne où se préparait l'invasion de l'Angleterre, en six heures de temps, il organise le transfert de ses troupes des camps de Boulogne vers le cœur de l'Autriche: Bernadotte descendra par l'Allemagne sur la Bavière, Marmont quittera la Hollande en longeant le Rhin jusqu'à Mayence, Davout se rendra aussi sur le Rhin à Mannheim, Soult avec le gros de l'armée visera Spire, Ney rejoindra l'Allemagne en passant par Strasbourg, Augereau lui, partira de Bretagne, toujours évidemment à destination de l'Allemagne. Ce sont donc sept torrents distincts qui vont converger vers les lieux où sont en train de se concentrer les armées autrichiennes, russes et prussiennes, qui ne s'attendent pas à être si vite menacées... Environ 150 000 hommes, 30 000 chevaux et 6 500 canons, déferlent sur l'Europe centrale. Une des plus extraordinaires randonnées militaires qui aient jamais eu lieu! Les unités marchent en principe sur deux rangs de façon à laisser le centre de la route libre pour la circulation. Elles font environ 25 à 30 kilomètres par jours. Le départ est donné vers six heures du matin, assez tôt pour, en arrivant au milieu de la journée au point désigné pour l'étape, avoir le temps d'organiser le cantonnement. Partis le 29 Août 1805, et après avoir tous ensemble longé le Danube, les Français sont à pied d'œuvre le 21 novembre. Mais pour avoir été si rapides, ils ne sont guère plus de 75 000 à l'arrivée. Les Alliés peuvent dans les mêmes conditions leur opposer environ 100 000 Austro-russes, sachant que les Prussiens, qui ne se sont pas encore regroupés, ne vont pas pouvoir intervenir.
Le général Koutousov était à la tête de l'armée austro-russe. Mais il est difficile de bien commander quand on se trouve dans le voisinage, ou sous les ordres, de deux empereurs, l'un de 28 ans, l'autre de 36 ans, qui brûlent de montrer qu'ils existent. Leurs armées, donc, effrayées, se dérobaient devant les Français et Koutousov pensait qu'il était déraisonnable de se retourner trop tôt contre leurs poursuivants et de risquer la guerre en une seule bataille. Il aurait préféré que les troupes continuent à se replier pour recueillir au passage les renforts qui les attendaient en Haute-Silésie et ne se retournent contre Napoléon que lorsqu'ils seraient assurés de le dominer par le nombre. D'autant plus que d'ici-là, les Prussiens auraient pu entrer en action et couper les lignes de ravitaillement françaises... Mais les jeunes officiers qui entouraient les deux empereurs brûlaient de montrer leur valeur et voulaient sans plus tarder courir sus aux Français. Ce fut leur point de vue qui l'emporta... d'autant plus facilement que Napoléon, par ruse, leur avait fait croire qu'il craignait la bataille et était sur le point de se retirer.
Le 2 décembre, date anniversaire de son couronnement, sortant de la brume de la nuit sous un soleil qui deviendra célèbre (le soleil d'Austerlitz!), Napoléon remporte donc la victoire, après avoir cassé en deux l'armée ennemie et lui avoir infligé de lourdes pertes.
Cependant cette bataille (dite la bataille des trois empereurs: Alexandre de Russie, François d'Autriche et Napoléon, empereur des Français) ne fut pas le succès complet qu'elle aurait pu être si la cavalerie russe, en particulier celle du général prince Bagration, n'avait pu en grande partie se sauver du désastre, en profitant de la négligence ou de la nonchalance du général Murat. Si la victoire avait été plus complète, l'armée russe n'aurait pu se reconstituer assez rapidement, et peut-être la France aurait eu une chance d'imposer à l'Europe une paix définitive. Et de s'épargner par là les batailles qui suivirent: Iéna, Eylau, Wagram, Leipzig... Le XIXème siècle aurait alors pris une autre voie. Mais voilà: Murat s'était fait tancer quelques jours auparavant par l'Empereur pour avoir voulu tout seul, au passage et sans ordres, prendre Vienne... Peut-être boudait-il? Prendre Vienne n'avait aucun intérêt stratégique, détruire la cavalerie russe en avait beaucoup. Les grands événements de l'Histoire sont faits de ces petites pensées qui prennent naissance dans le cerveau d'un homme de mauvaise (ou de bonne) humeur!