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Déposé à la SACD


CHARLES LE TEMERAIRE
Le prince qui aimait la guerre
***
(pièce traitée à la façon d'une farce)


PERSONNAGES
Charles le Téméraire, Edouard IV roi d'Angleterre, Louis XI roi de France,
La duchesse de Bourgogne, deux chevaux,
l'ambassadeur anglais, le capitaine suisse,
six soldats suisses, trois messagers, Campobasso,
Marie de Bourgogne, l'aumônier.


1 - Le roi Edouard et le duc Charles s’allient contre Louis XI
L'HISTORIEN DE SERVICE - Au milieu du XVème siècle, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, régnait sur un vaste territoire qui s'étendait de la Bourgogne et de la Franche-Comté jusqu'à la Hollande. Mais bien que déjà très riche, il voulait désespérément agrandir ses possessions et si possible devenir Empereur du Saint Empire romain germanique. Il s'attira ainsi l'inimitié de tous ses voisins. Il lutta en particulier contre Louis XI, le roi de France, mais aussi contre les Allemands, les Lorrains, les Alsaciens et surtout les Suisses… Sa passion pour la guerre était si forte qu'en une dizaine d'années, de combats en combats, il finit par y engloutir son immense fortune... Mais pour le moment il est en train de faire alliance avec le roi d'Angleterre pour faire la guerre à Louis XI…
CHARLES LE TEMERAIRE - (tenant par la bride son cheval piaffant) Ah, ah, il va bien voir, notre rat, ce qui va lui arriver.
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - (tenant par la bride son cheval piaffant) Oui, mais pourquoi l'appelez-vous "notre rat"?
CHARLES LE TEMERAIRE - Parce qu'il est mal foutu, mal habillé, qu'il se cache dans son trou, rase les murs, trompe tout le monde et fait ses coups en douce…
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - Un rat! Si Louis XI, roi de France, savait comment vous parlez de lui!
CHARLES LE TEMERAIRE - Il se moque bien de la façon dont je parle de lui. Mais de ce que nous allons lui faire, de cela, non, il ne se moquera pas.
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - Notre alliance est donc conclue?
CHARLES LE TEMERAIRE - Elle l'est, cher beau-frère. (il monte sur son cheval qui hennit: houimpf!). Le royaume de France sera pris en tenailles entre vous, Edouard IV, roi d'Angleterre, et moi, Charles le Téméraire, duc de Bourgogne.
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - Oui, de par Dieu, cela sera… (il monte sur son cheval qui hennit: houimpf!) Nous allons serrer Louis à la gorge jusqu'à ce qu'il finisse par céder…
CHARLES LE TEMERAIRE - C'est-à-dire jusqu'à ce que vous, qui êtes roi d'Angleterre, soyez légitimement couronné roi de France à Reims…
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - Et jusqu'à ce que vous, qui les méritez, ayez reçu les provinces qui vous manquent pour que votre duché de Bourgogne devienne un vrai royaume.
CHARLES LE TEMERAIRE - Affaire faite, roi Edouard. Vous l'attaquerez par la mer en même temps que moi je l'attaquerai par la terre.
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - Affaire faite, duc Charles. J'entends déjà la mâchoire du piège qui lui claque sur les os.

2 - Le Téméraire n'est pas venu au rendez-vous
L'HISTORIEN DE SERVICE - Ils s'en sont allés chacun de leur côté au grand galop… Mais au moment de passer à l'action, Charles n'est pas au rendez-vous… Sa femme, Marguerite de Bourgogne, qui est, comme on l'a compris, la sœur du roi d'Angleterre, se trouve chez elle en train de broder… Il faut bien s'occuper!
LA DUCHESSE DE BOURGOGNE - Vous venez de les entendre tous les deux conspirer contre le roi de France. Depuis cet entretien, un an s'est écoulé. Mais… (elle écoute) quelqu'un est en train de monter l'escalier. Je parie que c'est un messager de mon frère, le roi d'Angleterre, qui vient me demander si je sais pourquoi mon mari ne se trouve pas au rendez-vous!
L'AMBASSADEUR D'ANGLETERRE - Madame la duchesse de Bourgogne, savez-vous pourquoi votre mari ne se trouve pas au rendez-vous?
LA DUCHESSE DE BOURGOGNE - (au public) Qu'est-ce que je vous disais! (au messager) Mon pauvre monsieur, que voulez-vous que je vous réponde, je n'ai moi-même pas vu mon mari depuis dix-huit mois.
L'AMBASSADEUR D'ANGLETERRE - Mais où est-il donc?
LA DUCHESSE DE BOURGOGNE - Quelque part en Allemagne, en train de faire la guerre aux Allemands.
L'AMBASSADEUR D'ANGLETERRE - C'est très ennuyeux pour nous autres Anglais, qui venons de débarquer et voulons faire la guerre aux Français.
LA DUCHESSE DE BOURGOGNE - Je suis confuse. Mais comprenez-nous. Nous sommes dans une situation très difficile car ce n'est pas commode d'avoir un grand appartement: on ne se rencontre plus! Nous avons des terres en Bourgogne, naturellement, mais aussi des terres en Flandre, et de Dijon à Bruxelles, où vous êtes venu me trouver, cela fait un bout de chemin, surtout quand il faut passer par Strasbourg. De toute façon, il nous manque l'Alsace et la Lorraine et c'est pour cela qu'il se bat avec les Allemands. Heureusement qu'il adore se battre! Encore une fois, je suis confuse: il aura été retardé… A la guerre, vous savez…
L'AMBASSADEUR D'ANGLETERRE - Comme à la guerre! Que dirai-je à mon maître, votre frère, le roi d'Angleterre?
LA DUCHESSE DE BOURGOGNE - Que, s'il a des nouvelles de mon mari, il me le fasse savoir.
L'AMBASSADEUR D'ANGLETERRE - Nous n'y manquerons pas.

3 - Louis XI achète les troupes anglaises
L'HISTORIEN DE SERVICE - Le roi de France a profité du retard de Charles pour essayer de négocier avec les Anglais. Il s'avance sur la pointe des pieds.
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Mon cher cousin Edouard…
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - Quel honneur me fait le roi de France! (au public) Mon Dieu, c'est le rat! (A Louis) Et quelle surprise…! Ce n'est pas vous que j'attendais, mais soyez le bienvenu, cousin Louis.
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Noble lion d'Angleterre, j'ai eu tout à coup envie de parler avec vous.
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - Vraiment! Pour tout dire j'attendais le Téméraire… Lui et moi nous vous avons mijoté une petite guerre dont vous n'allez pas vous tirer.
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Je sais, je sais, vous êtes bien aimable. Mais vous voyez bien, le Téméraire n'est pas venu. Je suis navré pour vous.
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - Cela ne fait rien. Je vais me battre tout seul. J'ai une armée et un matériel absolument fantastiques… J'ai apporté tout ça d'Angleterre. Vous voulez que je vous montre?
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Volontiers, j'adore avoir peur… (ils regardent au loin) C'est impressionnant. Tant d'archers, tant de chevaliers, tant de canons et tout, et tout…! Malheureusement, moi, je n'aime pas la guerre et je n'ai pas envie de me battre.
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - Comment cela, vous refusez ma bonne guerre?
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Oui, je ne suis pas comme le Téméraire, je n'aime pas la vue du sang.
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - Mais alors, mes soldats, tout mon beau matériel… à quoi est-ce qu'ils vont me servir? J'ai eu des frais!
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Vous avez eu des frais! Si c'est là le problème, j'ai une proposition à vous faire: je vous achète le tout. Ça me coûtera bien moins cher que de vous faire une guerre.
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - Vous me l'achetez… quoi? Mon armée? Comme ça?
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Oui, mais à une condition: c'est que vous me rembarquiez tout votre bazar illico pour l'Angleterre.
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - Je vois! Ce serait avantageux: pas de guerre et de l'argent. Et combien me l'achèteriez-vous?
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Soixante-quinze mille écus. (il montre sa bourse)
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - C'est une somme considérable! Vous me tentez.
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Je l'espère bien. Et pour que vous ne reveniez plus jamais, j'y ajoute une rente annuelle de cinquante mille écus, aussi longtemps que vous resterez chez vous.
EDOUARD, ROI D'ANGLETERRE - Bigre! Ça n'est pas très glorieux, on va me prendre pour un couard mais… j'accepte! Honni soit qui mal y pense… (il prend la bourse de Louis). Merci, encore merci. Encore, encore, encore merci. Je pars tout de suite.
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Je vais surveiller ça de près.

4 - Les craintes de Charles
L'HISTORIEN DE SERVICE - En réalité, avant de se séparer, les Anglais et les Français s'offrirent un bon gueuleton. Mais nous n'avons pas le temps d'en parler. Et puis dans un théâtre, un gueuleton, ça pose des problèmes. En tout cas, voilà Charles le Téméraire qui arrive enfin… Mais les Anglais sont partis!
CHARLES LE TEMERAIRE - Ce qu'il y a d'ennuyeux avec Louis, c'est qu'il achète tout le monde. Je ne sais pas où il trouve cet argent, mais moi qui ai pour sujets de très prospères marchands flamands ou bourguignons et qui suis de ce fait le prince le plus riche de la chrétienté, je ne pourrais pas en faire autant… Avez-vous bien vu comment il a manœuvré les Anglais pour qu'ils retournent en Angleterre! Et pour venir à bout de moi, dont il a juré la perte, non seulement il me sépare de mes alliés, mais il verse à mes ennemis des sommes considérables, afin qu'ils me fassent des guerres enragées. Et il graisse particulièrement la patte des Suisses, qui aiment beaucoup l'argent, car ils sont bien, eux, dans leurs montagnes, les plus pauvres ploucs de la même chrétienté… D'ailleurs à moitié sauvages, de vraies bêtes. Et justement ils viennent de me faire en Franche-Comté une ignoble razzia. Mais regardez-les…

5 - Les Suisses à l'exercice
L'HISTORIEN DE SERVICE - Effectivement, les Suisses sont en train de s'entraîner …
LE CAPITAINE SUISSE - Je suis votre capitaine… Allons, allons, à l'exercice. Laissez vos vaches, vos charrues et vos femmes et venez vous entraîner pour la noble guerre que nous menons contre le duc Charles de Bourgogne, dit "le Téméraire", qui menace nos libertés… Et n'oubliez pas d'amener avec vous ces longues lances qui font de l'armée suisse l'armée la plus efficace du monde.
LES SIX SOLDATS SUISSES - (quatre d'entre eux entrent avec des tringles à rideau et deux avec ce qui pourrait figurer des hallebardes) Nous voici!
LE CAPITAINE SUISSE - Les rois et les princes d'Europe, qui ont des armées de mercenaires, peuvent tout au plus rassembler et armer quinze mille hommes: mais nous, les Suisses, qui sommes tous des citoyens soldats, nous pourrions si nous le voulions en armer quatre-vingt mille en quinze jours. Nous ne craignons personne.
LES SIX SOLDATS SUISSES - Nous serons bien payés, en plus?
LE CAPITAINE SUISSE - Grassement, avec l'argent de Louis. Garde à vous! (il emprunte une tringle à rideau à l'un de ses soldats et parle au public) Repos! Vous vous imaginez que ce sont de simples tringles à rideau… Regardez de plus près, ce sont de longues et lourdes lances qui mesurent six mètres de long. Six mètres, cela fait un, deux, trois, quatre, cinq, six… (il fait six grands pas sur la scène) Vous vous rendez compte! Pour les manier, il faut de véritables athlètes… Hommage à nos solides montagnards! Et lorsqu'ils se forment en carrés hérissés de tous les côtés de ces longues lances, ils repoussent tous les assauts, et lorsqu'ils se mettent en marche, ils dévastent tout sur leur passage.
LES SIX SOLDATS SUISSES - Rien ne nous résiste et nous résistons à tout.
LE CAPITAINE SUISSE - Maintenant, mettez-vous en position et montrez à ces messieurs-dames comment vous faites (ils se rangent en trois rangs de deux). Le premier rang, un genou à terre, l'arrière de la lance fiché dans le sol, la pointe dressée vers l'ennemi; le deuxième rang avec les lances horizontales venant s'appuyer sur les épaules du premier rang; et le troisième rang, ce sont les hallebardiers. Très bien! Supposez que je sois un chevalier ennemi: je charge et je viens m'enfiler sur vos longues lances… (il fait une démonstration) Naturellement moi je m'arrête à temps pour ne pas être transpercé. Mais au combat les ennemis ne s'arrêtent pas et on les embroche comme des croûtons sur une fourchette à fondue. Et si l'un d'entre eux venait à passer les deux rangs de lances, il serait immédiatement haché menu par les hallebardiers qui sont au centre du carré… Vous avez compris? Parfait! Maintenant, en route pour le champ de manœuvre. En avant, marche!

6 - Charles est défait à Grandson
L'HISTORIEN DE SERVICE - Les longues lances sont si efficaces que, par deux fois Charles, qui s'en était allé faire la guerre en Suisse, s'est retrouvé en pleine déroute, ce que deux messagers viennent raconter au roi de France.
PREMIER MESSAGER - Nous avons de bonnes nouvelles.
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Dites-moi vite ça.
PREMIER MESSAGER - L'argent dont vous avez couvert les Suisses…
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Tu veux dire l'or dont je les ai inondés!
PREMIER MESSAGER - Oui, l'or dont vous les avez inondés, l'or donc a porté ses fruits et, en deux coups de cuiller à pot, les carrés suisses ont écrasé votre mortel ennemi.
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Ah, ah! …Donnez-moi des détails.
PREMIER MESSAGER - Premier coup de cuiller à pot: récit imagé de la bataille de Grandson.
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - De la bataille de Grandson.
PREMIER MESSAGER - Oui, Grandson.
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - C'est la première fois que j'entends ce nom.
PREMIER MESSAGER - Ce ne sera pas la dernière. A toi de raconter!
DEUXIEME MESSAGER - Donc Granson est une petite ville située à côté du lac de Neufchâtel. Le duc est arrivé là avec une immense et riche armée. Il a pris la ville sans trop de peine et il en a fait pendre tous les défenseurs… Comme ça! Ils étaient cinq cents! C'est la guerre. Ensuite, l'arme à la bretelle, tranquillement, il s'est avancé le long du lac pour régler son compte au gros de l'armée suisse qui marchait sur lui. Mais il s'est laissé surprendre, ses canons ont tiré trop haut, les Suisses ont sonné de leurs terribles trompettes à bestiaux, puis les longues lances ont chargé, de face, de trois quart et de côté et, en moins de temps qu'il ne fait pour le dire, elles ont mis en déroute la belle armée bourguignonne, qui a fui de tous les côtés. Pas trop de pertes de soldats, mais quelle perte de prestige!
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Et qu'a fait le duc?
DEUXIEME MESSAGER - Il était absolument furieux, d'autant que les Suisses ont pillé son camp où il avait laissé toutes ses richesses… Mais voyez plutôt…
CHARLES LE TEMERAIRE - (entrant subitement, hagard) Je veux tirer des Suisses une vengeance éclatante. Ils ne m'ont pas battu: Granson n'était qu'une escarmouche. Mais ils ont osé m'enlever mes trésors. Le temps de me refaire et je reviens! Je veux tirer des Suisses une vengeance éclatante… (il sort)

7 - Charles est défait à Morat
L'HISTORIEN DE SERVICE - Voilà quelque chose qui lui ressemble tout à fait! Il ne sait pas se dominer? Et une nouvelle fois il se fait piéger.
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Alors, que s'est-il passé exactement?
PREMIER MESSAGER - Alors, il est revenu. Second coup de cuiller à pot: récit imagé de la bataille de Morat.
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - C'est la première fois aussi que j'entends ce nom.
PREMIER MESSAGER - Celui-là deviendra encore plus célèbre. A toi maintenant de raconter.
TROISIEME MESSAGER - Donc Charles veut se venger: il marche sur Berne. En passant, et encore une fois sur le bord d'un lac, il donne l'assaut à la petite ville de Morat, qui cette fois résiste… (au public) Entre parenthèses, la petite ville de Morat existe encore, telle qu'elle était, avec ses remparts, et tout ce qu'il faut, et si vous voulez la visiter, les Suisses seront ravis de vous le montrer! (à Louis) Morat résiste donc. Les gens de Morat n'ont pas envie d'être pendus. Et pendant qu'ils se défendent, même schéma, l'armée suisse déboule le long du lac. Charles laisse Morat et se prépare au combat, mais les Suisses, rusés, se sont cachés dans les bois avoisinants et ne bougent plus, pas même une oreille. Charles dit alors: "C'est évident, ça n'est pas pour aujourd'hui, allons déjeuner." Et pendant qu'ils déjeunent, les longues lances sortent du bois en beuglant dans leurs trompes et chargent encore une fois. Cette fois les Bourguignons ne peuvent pas s'enfuir et c'est la catastrophe… La moitié de l'armée de Charles reste sur le terrain. Un massacre!
LOUIS XI, ROI DE FRANCE - Et Charles?
TROISIEME MESSAGER - Il a sauvé sa peau et, avec quelques survivants, il s'est réfugié au château de la Rivière, dans le Jura. On dit qu'il est devenu complètement fou et qu'il boit beaucoup trop. Il a les yeux injectés de sang. Encore une fois il veut se refaire une armée… Regardez…
CHARLES LE TEMERAIRE - (entre) Je veux tirer des Suisses une vengeance éclatante. Ils ne m'ont pas battu, Morat n'était qu'un accident. Ce sont des bêtes brutes. Ils ne sont pas dignes d'un chevalier tel que moi. Attendez-moi là! Je veux tirer des Suisses une vengeance éclatante… (sort)

8 - Charles sous les murs de Nancy est trahi par ses mercenaires italiens
L'HISTORIEN DE SERVICE - Charles le Téméraire a finalement réuni une nouvelle armée… pas tout à fait autant de soldats qu'il l'avait espéré, il comptait sur cent mille, il en a eu dix mille… mais allons-y, et le voilà, en plein hiver, qui campe sous les murs de Nancy, dont il veut faire le siège. Mais ses mercenaires italiens ne sont pas enthousiastes… C'est ce que lui explique leur chef, Campobasso.
LE CAPITAINE DE CAMPOBASSO - Monseigneur, vous n'êtes pas raisonnable.
CHARLES LE TEMERAIRE - Je veux tirer des Suisses une vengeance éclatante…
LE CAPITAINE DE CAMPOBASSO - Oui, je sais, vous êtes obsédé. A votre place je resterais tranquille. Mais puisque vous y tenez tant, vous feriez mieux de remettre quand même ça à plus tard et de vous replier.
CHARLES LE TEMERAIRE - Lever le siège de la ville de Nancy, qui me nargue? (il montre)
LE CAPITAINE DE CAMPOBASSO - Oui, repliez-vous sur Pont-à-Mousson et le Luxembourg, où vous avez votre trésor et attendez-y la fin de l'hiver. Vous trouvez que vous ne vous êtes pas fait assez étrillé à Grandson et à Morat?
CHARLES LE TEMERAIRE - Silence là-dessus… Je veux tirer des Suisses une vengeance éclatante.
LE CAPITAINE DE CAMPOBASSO - Assez! Nous sommes en Janvier, il fait très froid… Si vous vous retirez, vos ennemis se disperseront tout seuls, ils n'aiment pas les engelures.
CHARLES LE TEMERAIRE - Non, un vrai chevalier ne se replie pas. Je veux le combat et tout de suite.
LE CAPITAINE DE CAMPOBASSO - Vous êtes fou: vous serez pris entre les défenseurs de Nancy et tous ceux qui se portent à son secours, les Alsaciens, les Allemands, les Suisses surtout… Que de monde!
CHARLES LE TEMERAIRE - Plus la cause est désespérée, plus je la crois noble.
LE CAPITAINE DE CAMPOBASSO - Monseigneur, si vous persistez, moi et mes mercenaires italiens, nous allons vous trahir.
CHARLES LE TEMERAIRE - Je le sais. Tu as déjà commencé, Campobasso, et pour cela tu as déjà reçu de l'or du roi de France. Va, trahis-moi…
LE CAPITAINE DE CAMPOBASSO - Nous voulons bien nous battre, mais seulement quand nous sommes sûrs de remporter la victoire!
CHARLES LE TEMERAIRE - Campobasso, n'as-tu plus confiance en moi?
LE CAPITAINE DE CAMPOBASSO - (un temps d'attente) Décidément, non, monseigneur… Adieu! Je dis bien: adieu. (il sort)

9 - Mort de Charles le Téméraire.
L'HISTORIEN DE SERVICE - Charles, malgré les très mauvaises conditions où il se trouve, veut donc se battre. Sa fille Marie de Bourgogne a pu le rejoindre et l'aide à s'armer pour ce qui sera probablement son dernier combat…
MARIE DE BOURGOGNE - Eh bien, Père, puisque vous avez décidé de mourir, il faut vous y préparer.
CHARLES LE TEMERAIRE - Marie, ma petite fille bien-aimée, que c'est bon de te retrouver ici!
MARIE DE BOURGOGNE - Il n'est plus temps de s'attendrir. Je vais vous aider à vous armer pour le dernier combat. Ne voulez-vous pas auparavant vous confesser?
CHARLES LE TEMERAIRE - C'est bien inutile… Demande seulement à mon aumônier de me lire quelques pages de l'Imitation de Jésus-Christ, ce livre qui vient de paraître et que j'aime tant.
L'AUMONIER - Bien volontiers.
MARIE DE BOURGOGNE - Pendant qu'il cherche dans son livre, mettez votre chemise de laine: Vous aurez froid sur le champ de bataille… (Dans la suite de la scène qui sera jouée très lentement, en laissant toute leur place aux actions matérielles, Marie mettra tendrement à Charles ses vêtements, son chandail, ses chaussettes et ses souliers, puis son manteau et son chapeau…)
L'AUMONIER - Voilà… "Ô Jésus, afin d'être délié des liens du péché, l'homme souhaite ardemment que la mort arrive."
CHARLES LE TEMERAIRE - Oh oui, si vous saviez comme je le souhaite!
MARIE DE BOURGOGNE - Maintenant, vos jambières de fer et vos chaussures…
CHARLES LE TEMERAIRE - Attentions, j'ai un ongle incarné qui me fait souffrir!
MARIE DE BOURGOGNE - Doucement, doucement… Je vous remets un peu de pommade… Comme ça!
L'AUMONIER - "Si aujourd'hui vous n'êtes pas prêt à mourir, le serez-vous demain?"
CHARLES LE TEMERAIRE - Hélas de toute façon, nous sommes déjà demain.
MARIE DE BOURGOGNE - Votre armure, maintenant.
L'AUMONIER - "S'il est terrible de mourir, n'est-il pas plus dangereux de vivre?"
CHARLES LE TEMERAIRE - Il est toujours dangereux de vivre, j'en sais quelque chose.
MARIE DE BOURGOGNE - Votre casque, enfin.
CHARLES LE TEMERAIRE - Oui, donne-le moi… (il le laisse échapper…)
MARIE DE BOURGOGNE - Cela n'est pas de bon augure!
CHARLES LE TEMERAIRE - Nous n'en sommes plus à croire des choses pareilles. Ramasse-le moi, je suis tellement courbatu que je ne peux même plus me baisser…
L'AUMONIER - "Les jours de notre vie sont en petit nombre, enveloppés de passions, souillés de péchés, déchirés par la curiosité, l'erreur, l'envie... Il vaut mieux éviter le péché plutôt que de fuir la mort. Mais si vous avez une bonne conscience, vous ne devez pas craindre la mort."
CHARLES LE TEMERAIRE - J'ai une très bonne conscience. C'est ce que j'ai de meilleur.
MARIE DE BOURGOGNE - A votre main enfin, je passe cet anneau: il permettra d'identifier votre cadavre lorsqu'on le retrouvera enseveli sous la neige et à moitié dévoré par les loups.
CHARLES LE TEMERAIRE - Ah! Parce que c'est de cette façon que les choses doivent se terminer! (silence) Les Suisses avec leurs longues lances… Oui, à la fin, c'est le rat qui a gagné. Et toi, Marie, qu'est-ce que tu vas devenir?
MARIE DE BOURGOGNE - La fille d'un vaincu ne choisit pas son sort. Allez, maintenant…
L'AUMONIER -- "Allez et vous recevrez enfin cette paix solide, cette paix inaltérable et assurée, cette paix au-dedans et au-dehors, cette paix raffermie de toutes parts…"
CHARLES LE TEMERAIRE - Adieu, ma petite fille. A toi de vivre, maintenant! I
L'HISTORIEN DE SERVICE - Tous ses ennemis s'étant finalement ligués contre lui, Charles le Téméraire périt misérablement au combat un soir glacial de Janvier 1477, sous les murs de Nancy… Son cadavre gelé, défiguré et à moitié mangé par les loups fut retrouvé et reconnu grâce à son anneau. Marie épousa finalement Maximilien d'Autriche. Elle fut la grand-mère de Charles Quint.